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le nez recourbé tombe sur la bouche ; la lèvre supérieure est rentrante, et la mâchoire inférieure projetée en avant. Les dents du haut ont été brisées sous les coups. Ajoutez les oreilles déchirées, l’œil droit très enflé, des gouttes de sang au-dessous des oreilles et de la paupière, la bouche entr’ouverte trahissant une respiration difficile ; ajoutez les accessoires, tout le système de lanières, de bandes de cuir et de plaques de métal dont se compose le ceste, savamment indiqué. Tous les détails y sont, et précis et minutieux. Non seulement il est clair que le modèle a posé devant l’artiste ; mais on se demande si avec toute la rigueur de nos appareils photographiques nous aboutissons à des résultats plus scrupuleusement et implacablement vrais.

Dans ce que l’on appelle les sujets de genre, c’est-à-dire les sujets anecdotiques, empruntés à la vie quotidienne, au pittoresque de la rue ou des intérieurs, de la ville ou de la campagne, l’observation familière et piquante est la qualité indispensable. Elle fait tout le charme de ces petites scènes. Dire que l’époque hellénistique a beaucoup aimé « le genre, » c’est montrer toute l’importance prise dans l’art par le réalisme. Si nous n’étions obligés de nous borner, il nous plairait de le retrouver s’épanouissant à l’aise dans ces sujets pour lesquels il semble exactement fait, triomphant dans le rendu de ces visages inconnus, anonymes, mais qui, n’en doutons pas, sont des portraits fidèles, copiés dans la foule oisive ou affairée, parmi le petit peuple des pêcheurs ou des paysans. Il nous faudrait, poussant notre enquête, examiner, à côté de la sculpture proprement dite, l’industrie des modeleurs de figurines, et passer en revue cet art du portrait populaire depuis les terres cuites d’Alexandrie ou de Myrina (enfans à l’école ou à la promenade, cuisiniers, crieurs publics, esclaves, marchands ambulans) jusqu’aux statuettes de marbre (un vieux pécheur portant ses outils, une paysanne tenant un agneau qu’elle mène au marché, une vieille femme ivre serrant dans ses bras une amphore). Partout nous constaterions ces mémos qualités de précision pleine de gaieté, ce coup d’œil juste qui saisit comme au vol les menus incidens de l’existence, ce réalisme de bon aloi, d’une sùreté incroyable.

Que demande-t-on encore pour être convaincu de cette transformation dans l’esprit et les tendances artistiques de l’époque ? Il ne nous reste plus qu’il la relever dans l’espèce de portraits qui, par sa nature même, semblait le moins disposée à la subir ; les