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dites si l’on peut pousser beaucoup plus loin le réalisme. Pour ceux qui n’aiment pas à être dépaysés et qui, sortant de leur époque, veulent encore retrouver dans les temps plus anciens la satisfaction de leurs propres goûts, de telles œuvres ont assurément beaucoup d’attrait et une saveur particulière. Elles sont tout rapprochées de nous, toutes modernes : un contemporain pourrait les signer. C’est donc une erreur de croire que les Romains ont été, aux âges classiques, les seuls passés maîtres dans une exécution savamment réaliste du portrait. « Nil intentatum Græci liquere. » Rome n’a rien de plus exactement observé, rien qui vous donne davantage la sensation directe, immédiate de la nature elle-même que certains portraits de l’époque hellénistique.

En faut-il d’autres preuves, et, après les lettrés ou les savans, s’adresser aux représentations d’athlètes victorieux ? Ici la tentation d’idéaliser n’existe pas. Ces êtres, uniquement adonnés à la force brutale, appellent une exécution brutale, elle aussi : le réalisme est comme une loi du genre. Au IVe siècle, nous avions laissé les statues d’athlètes fidèles au principe établi par Polyclète et reproduisant, surtout dans la facture de.la tête, un type canonique et conventionnel. Lysippe brise ce canon de l’ancienne école péloponnésienne et revendique pour l’art le droit de suivre la nature en toute liberté. Aussi dans les statues d’athlètes qu’il signe en grand nombre, héritier bien direct en cela des vieux bronziers d’Argos et de Sicyone, le corps, et, ce qui nous intéresse particulièrement, le visage sont traités dans un très fin et très juste sentiment de la réalité. Le célèbre Apoxyomenos, avec le pli qui lui traverse le front, son expression un peu pensive et nerveuse, a déjà un caractère individuel accusé. Mais, après Lysippe, cette individualité se marque bien davantage. Une tête de bronze découverte à Olympic en est une preuve frappante. L’Apoxyomenos était encore le jeune athlète de bonne naissance, l’éphèbe grec fréquentant la palestre pour développer son corps aussi harmonieusement que son esprit. La tête d’Olympie représente l’athlète de métier, tête dure, étroite, sans pensée, bestiale, mais singulièrement expressive. Jusqu’où cette tendance pouvait conduire, un pugiliste conservé au musée des Thermes de Dioclétien nous l’apprend. C’est un lutteur au repos, assis, les coudes posés sur les cuisses, le haut du corps incliné, la tête tournée vers la foule. Le front est bas ; l’expression, stupide » celle d’un homme qui ne connaît que la pesanteur de ses poings ;