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Ainsi une statue le montrait appuyé sur sa lance, levant les yeux vers Zeus. Selon les vers gravés sur la base, il « semblait dire : La terre est à moi ; toi, Zeus, règne dans l’Olympe[1]. » Un tel portrait visait moins à l’exactitude qu’à la glorification du modèle. Les successeurs de Lysippe cherchèrent encore davantage à l’idéaliser. Le beau buste du Capitole avec ses boucles de cheveux relevées sur le front et encadrant l’ovale très pur du visage, son regard profond et rêveur, sa tête penchée sur l’épaule gauche, son expression passionnée, fait douter si l’on est en présence d’un homme ou d’un dieu. On croirait voir Hélios, n’était un léger duvet sur les joues, qui vient révéler le caractère humain du personnage. Seul le célèbre sarcophage du Musée de Constantinople, trouvé dans la nécropole de Sidon et devenu déjà populaire sous le nom de « sarcophage d’Alexandre », représente le conquérant macédonien, qui s’y trouve deux fois mêlé à des scènes de bataille et de chasse, sous des traits plus rapprochés de la réalité. Le visage du roi, notamment lorsqu’il est occupé à charger un lion, a dans le regard une intensité de vie et une énergie d’expression singulières. Ce n’est pas assez cependant pour qu’il y ait exacte ressemblance.

Mais il y a plus, et voici par où le portrait de cette époque se rattachait encore au passé. J’ai parlé plus haut de cette habitude de consacrer des statues aux grands écrivains des générations antérieures. Après Alexandre, elle ne fit que s’accroître. Jamais la philosophie, la poésie, la science ne passionnèrent davantage les esprits, libres alors de tout souci politique, oisifs, aiguisés, d’une culture raffinée. Ce devint une mode de posséder dans sa maison, son jardin, sa galerie, le buste au moins de quelqu’un de ces vieux sages. La piété littéraire des nombreux érudits n’était pas satisfaite à moins. A côté des statues officielles et d’apparat, chacun voulait pour soi une œuvre plus réduite, à laquelle on put rendre dans une sorte de chapelle privée un culte plus intime. Ces fervens commandaient donc en grand nombre les images d’Homère, de Socrate, d’Ésope, des Sept Sages. De là toutes ces imitations dont les musées sont remplis. Images de convention naturellement, exécutées d’après la légende ou l’histoire, portraits littéraires, comme nous avons vu déjà qu’était le buste de Sapho. L’artiste, se faisant par avance une idée de son

  1. Plutarque, Sur la Vertu ou le Courage d’Alexandre, II, 2.