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l’attention, il est un objet d’intérêt. On s’aperçoit alors qu’il a son individualité tout comme la tête, que ses formes expriment au même titre le fond réel et personnel de l’être humain. Elles l’expriment même davantage, s’il s’agit d’un athlète. Par quoi un vainqueur aux jeux s’est-il illustré, distingué de ses semblables, a-t-il affirmé sa supériorité et en conséquence son individualité, sinon par l’espèce particulière de ses muscles et de ses nerfs, la qualité spéciale de ses membres et de toute sa structure physique ? Les vieux sculpteurs n’étaient donc point si mal avisés, ne pouvant encore, dans cette période des débuts, pousser deux études à la fois, de commencer par celle du corps. Ajoutez que les statues d’athlètes étaient des offrandes religieuses. La divinité n’était-elle pas capable de distinguer les siens dans cette foule impersonnelle et de rapporter chaque image à l’original ? Les Grecs n’en doutaient pas, et, s’en remettant à elle de ce soin, tranquilles, sans scrupules, ils laissaient en retard l’étude de la tête. — La cité, d’autre part, demandait, pour les citoyens qu’elle honorait, la beauté des formes et des attitudes, non la vérité toujours médiocre des visages individuels. Quand Athènes fut délivrée des Pisistratides parle poignard d’Harmodios et d’Aristogiton, l’enthousiasme populaire, non content de célébrer les héroïques meurtriers dans des chants patriotiques, voulut aussi élever un monument à leur gloire. Anténor exécuta le groupe des Tyrannicideset, après que Xerxès, lors du pillage de l’Attique, l’eut envoyé à Ecbatane, les sculpteurs Kritios et Nésiotès se chargèrent de le refaire. Un souvenir très direct de l’une ou l’autre de ces œuvres s’est conservé dans un marbre du Musée de Naples. Or, autant les corps, présentés dans toute la nudité athlétique, sont superbes de vigueur et de mouvement, emportés d’un élan fougueux, d’une exécution très savante et très réaliste, autant le visage d’Harmodios (le seul dont on puisse parler, l’autre tête étant visiblement d’une époque postérieure) demeure travaillé suivant les principes familiers et les formules connues.

Toutefois les sculpteurs, devenus vers les derniers temps plus maîtres de leur technique, semblent avoir pris peu à peu le souci d’une recherche plus exacte de la physionomie. Leur goût de l’observation, leur sincère et vigoureux réalisme les y amenait naturellement. Le beau conducteur de char, trouvé à Delphes, qui a été le point de départ et l’occasion de notre étude, paraît à M. Homolle marqué déjà de traits individuels. Le progrès se