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que les fouilles de 1886 ont fait sortir de terre sur le plateau de l’Acropole. La découverte, à son heure, eut un grand retentissement : elle le méritait. Lorsqu’elles apparurent au jour, gracieuses et souriantes, dans tout l’éclat de leurs vives couleurs, presque aussi fraîchement conservées après vingt-quatre siècles que si elles venaient d’être déposées dans le sol, ce fut une joie profonde pour l’âme des archéologues. Au plaisir esthétique de contempler des formes si élégantes, une polychromie si intacte et telle qu’il n’en était point d’autre exemple, se mêlait une véritable émotion, à songer que ces statues, contemporaines de Xerxès et de l’invasion médique, la plus effroyable tourmente qui ait passé sur la Grèce ancienne, étaient les derniers témoins pour nous de cet âge entièrement disparu, qu’elles avaient vu, du haut de leur piédestal, Athènes aux mains des barbares, Thémistocle se réfugiant sur les vaisseaux, puis l’Acropole au pillage, les vieillards égorgés près des sanctuaires, avant de tomber elles-mêmes mutilées et brisées par la rage inassouvie de l’envahisseur. Mais elles reparaissaient à la lumière sans état civil : jolies figures mystérieuses, elles restaient muettes sur leur origine et leur destination. Qui étaient-elles ? Des images de la grande déesse d’Athènes, groupées aux abords de son temple ? On le crut, sur leur apparence presque identique, et la foule, qui adopte les solutions simples, les appelle encore les Athénas de l’Acropole. La chose cependant paraît plus compliquée. Elles ont dû en réalité servir à des représentations très différentes. Il y a des Athénas parmi elles ; mais il y a aussi des mortelles, de même que nous avons vu le même type d’Apollons représenter tour à tour des dieux ou des athlètes. Il y a sans doute des prêtresses du culte, des errhéphores, même de simples dévotes, en un mot toutes les Athéniennes de naissance libre qui auront voulu, en lui dédiant leur portrait, témoigner leur piété à la déesse protectrice. Ce portrait est une physionomie générale ; car ce sont partout les mêmes caractères qu’on retrouve : les coins des lèvres retroussés et empreints d’un sourire forcé, les yeux en amande, relevés vers les tempes, semblant « sourire avec les lèvres[1]. » En dépit des particularités d’exécution et des différences de détail, ce qui frappe, c’est la ressemblance, l’air de famille ; et si parfois une expression semble plus individuelle, n’est-ce pas nous,

  1. Heuzey, Catalogue des figurines antiques de terre cuite du Musée du Louvre, p. 132.