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l’œuvre soit bien un portrait. Or, le doute n’est pas possible : l’artiste a voulu faire un portrait. Seulement il l’a traité selon les idées, avec les procédés, que lui-même, que son pays et son temps apportaient au rendu du visage humain. Quels ont été ces idées et ces procédés ? Et puisque, dans le cours des cinq ou six siècles, qu’a vécus l’art grec indépendant, conceptions et technique ont dû nécessairement se modifier, quelles ont été ces modifications ? En d’autres termes, prenant comme point de départ la superbe tête de l’ex-voto delphique, essayons de voir comment l’antiquité grecque comprenait le portrait. L’occasion est bonne pour suivre le développement du genre ; en raccourci, et sous un angle particulier, c’est l’évolution de l’art grec lui-même que nous nous trouverons indiquer. Puis, je le répète, cette incursion dans le passé ne nous détournera pas entièrement de nos préoccupations contemporaines. Bien des rapprochemens avec l’art moderne se présenteront, chemin faisant, à nos yeux, et se lèveront comme d’eux-mêmes devant nous.


I

Si l’on remontait cependant jusqu’aux âges primitifs de la Grèce pour y chercher ces points de comparaison avec nos écoles actuelles, la poursuite serait singulièrement décevante. On en conclurait à bon droit que le portrait a été inconnu des vieux Hellènes. Dans toutes les images où l’on croit le saisir, il échappe à vos prises :

Quo teneam vultus mutantem Protea nodo ?

De fait rien n’est plus éloigné de ce que nous appelons un portrait. Ce qui pour nous est le fond même du genre, c’est le caractère individuel de la figure, la ressemblance avec le modèle. Or en Grèce, ces anciennes images sont des types généraux et conventionnels, d’une entière impersonnalité. Est-il donc possible de parler encore de portraits ? Oui, car là, c’est l’intention seule qui compte. Y a-t-il ou intention de représenter des personnages ayant réellement vécu, non point une figure humaine quelconque, mais tel athlète, tel stratège ou magistral, tel poète ou philosophe ? Cela suffit. L’exécution malhabile a Irai » ! l’intention de ces naïfs « imagiers ; » mais dans leur pensée, une statue, un buste déterminés