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ou le forgeron Sosinos trouvaient moyen d’avoir leur image. Et tous les lieux aussi, publics ou privés, profanes ou religieux, étaient propres à recevoir ces portraits : temples, places, portiques, maisons particulières, parcs et jardins, théâtres et odéons, bibliothèques et gymnases, nécropoles, lieux de réjouissances ou d’affaires, lieux de prière ou de deuil. Les grands centres religieux surtout, ceux de Delphes et d’Olympie, étaient peuplés véritablement de tout un monde de marbre et d’airain, qui se dressait pêle-mêle aux abords du sanctuaire, réunissant dans l’enchevêtrement le plus bizarre des rois et des philosophes, des devins et des tyrans, des athlètes vainqueurs et des généraux.

L’attention vient d’être ramenée sur cette question du portrait par la récente découverte, faite à Delphes précisément, d’un de ces vainqueurs aux jeux sacrés. Dans les premiers jours du mois de mai 1896, M. Homolle et les membres de l’École française d’Athènes, continuant sur l’emplacement du temple d’Apollon les fouilles qui ont déjà donné de si curieux résultats, mettaient au jour une magnifique statue de bronze, de grandeur naturelle, d’une excellente conservation, d’une patine admirable. Le personnage porte le costume des cochers, tel qu’il est reproduit sur les vases peints ou sur les monnaies de Syracuse, c’est-à-dire la longue tunique tombant jusqu’aux pieds et relevée en bouillons au-dessus de la ceinture. Il tient encore dans sa main droite trois rênes de chevaux. Enfin divers fragmens trouvés au même endroit, fragmens d’attelage, de char et de coursiers, doivent être attribués au même ensemble. Tout porte donc à croire, — c’est à peine une hypothèse, — que nous avons sous les yeux un jeune homme qui a triomphé, dans les jeux pythiques, à la course des chars. Mais quel est ce personnage ? Ici discussion. Auprès des bronzes recueillis était gravée sur une base en calcaire une inscription de deux lignes, malheureusement mutilées : la dédicace de l’ex-voto. On crut y reconnaître, quand on la lut tout d’abord, les noms de Gélon ou de Hiéron, les célèbres tyrans de Syracuse. Cette lecture, à ce qu’il semble, était inexacte. Ce n’est ni Hiéron ni Gélon qui a consacré le monument au dieu de Delphes, c’est Polyzélos leur frère. Mais l’erreur est de celles qui ont chance de durer. Comme il est bien moins connu, Polyzélos portera la peine de son obscurité, et longtemps sans doute les gardiens du musée de Delphes montreront aux visiteurs le Gélon de Syracuse. Au reste, peu nous importe, et Polyzélos ou Gélon, l’essentiel est que