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ici qu’il convient ou jamais. Il serait impossible de découvrir ailleurs plus de souplesse et de variété. À bien considérer les choses, il n’est pas une des manifestations de l’art moderne que la Grèce ancienne ait ignorée. Elle a enfanté non seulement la beauté, mais tous les genres de beauté. Et ils le savent bien, ceux de nos sculpteurs, trop rares, qui vont lui demander le plus pur de leur inspiration. En se faisant les plus antiques, ils se trouvent souvent être les plus modernes.

Nous voudrions montrer, à propos du portrait, le profit qu’il y aurait encore, même aujourd’hui, à étudier l’art grec. Aucun genre ne plaît davantage que le portrait au public contemporain. Il est aisé de s’en rendre compte tous les ans aux deux Salons par les commandes qu’y exposent les sculpteurs, et tous les jours sur les boulevards par les statues qu’on y élève. Le Palais de l’Industrie et celui du Champ-de-Mars ont eu beau disparaître, nous avons vu les bustes s’aligner aussi nombreux qu’auparavant dans le nouvel espace sablé et gazonné qu’on leur avait consacré, et autour de ces bustes, nous avons vu la même foule curieuse chercher sur le socle ou dans le catalogue le nom du personnage. Le portrait a donc la vogue, et il la conservera longtemps encore : dans une société, comme la nôtre, de plus en plus pratique et positive, un art comme celui-là, utile au premier chef, est sûr de réussir. Mais ce qu’on ne sait pas généralement, c’est que les Grecs ont eu, avant nous, la passion du portrait. La statuomanie, dont nous nous moquons tant, et non pas sans raison, a sévi d’abord chez eux. Sans doute, ils ne lui ont pas sacrifié la grande sculpture monumentale et religieuse ; mais comme aucune partie du génie humain ne leur est demeurée étrangère, ils se devaient à eux-mêmes de cultiver, à côté des autres branches de l’art, cette branche du portrait, et ils l’ont beaucoup cultivée.

On se représente difficilement l’incroyable profusion de statues et de bustes répandue sur le sol de la Grèce. Aujourd’hui avoir son buste est un luxe qui n’est pas à la portée de toutes les fortunes. Ajoutez que la photographie, qui a déjà tué la gravure, porte aussi un coup redoutable à la sculpture comme à la peinture de portraits. En Grèce, où le grand art n’avait pas à souffrir de cette concurrence, toutes les classes de la société s’adressaient aux sculpteurs. Riches ou pauvres, personnages illustres ou petites gens, même l’humble artisan, même le cordonnier Xanthippos