Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/898

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous un fâcheux vent mouillé qui défrisait les coiffures et rebroussait le poil des chapeaux... J’avais eu la curiosité de voir la fête, et rien n’avait été plus facile. Les marchands de vins sont de bonnes gens, largement hospitaliers, et j’avais déjà pris ma place depuis une demi-heure, parmi les mille ou douze cents convives, dans la grande salle décorée de fresques, lorsque le banquet commença. Le ministre manquait, mais s’était fait représenter par un envoyé, et d’autres notabilités, un sénateur du Cantal, un conseiller municipal collectiviste, d’autres de nuances diverses, siégeaient sur l’estrade d’honneur. Tous avaient reçu le meilleur accueil, mais le plus chaudement acclamé, par les plus longues ovations, avait été un « conservateur, » M. Georges Berry, le député « rallié, » qui occupait la présidence, et dînait dans un fauteuil, ombragé par un drapeau.

Le coup d’œil était curieux ; les tables s’allongeaient comme à perte de vue ; les têtes, aux derniers plans, s’y brouillaient comme dans une brume, et ce qui dominait dans toutes les physionomies, c’était la joie d’être là, entresol, sous de belles lumières, avec un menu de vingt plats, des dames, des amis, et des fanfares jouant des valses... Vers dix heures, cependant, M. Georges Berry frappa avec un couteau sur une assiette, le silence se fit, et les discours commencèrent, mais sans un mot de politique, et sans que les allusions, les finesses, ou l’éloquence, y portassent sur autre chose que sur l’abolition des octrois, la dureté des patentes, ou l’invasion désastreuse des sociétés coopératives.

Trois ou quatre orateurs se succédèrent ainsi, et, après quelques toasts, le sénateur du Cantal, très gros, très rouge, ému, le geste tremblant, se leva pour prononcer le sien. C’était un vieux républicain, et un tonnerre d’applaudissemens salua son apparition, mais un cri, en même temps, partait du fond de la salle et expliquait l’ovation :

— Ecoutez, les Auvergnats !

Et l’ovation, en effet, s’adressait à l’Auvergnat. Toujours ému, et le geste toujours tremblant, le sénateur du Cantal essaya, un instant, l’éloge de la République, mais les acclamations devenaient tout de suite plus maigres. A son tour, ensuite, le conseiller collectiviste voulut risquer un peu de propagande : « Citoyens, souvenez-vous que la République... » Mais un léger bruit de conversation couvrait immédiatement sa voix. Il se rejetait alors sur les élections, mais on n’en causait que plus haut,