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du comte de Serre de l’autre. Decazes, en consentant à reprendre le pouvoir, s’est souvenu de ces paroles de Louis X VIII : « Marchons entre la droite et la gauche en leur tendant la main et en nous disant que quiconque n’est pas contre nous est avec nous. » Il entend demeurer fidèle à ce programme, le seul, selon lui, qui permettra d’atteindre le but qu’il a en vue : nationaliser la Royauté et royaliser la France. Le but que poursuit de Serre est le même. Mais, c’est par d’autres voies et d’autres procédés qu’il y veut arriver. De Serre est sous l’influence des doctrinaires : Royer-Collard, Guizot, Barante, Camille Jordan. Ils l’ont convaincu, en dépit de ses vieux préjugés d’ancien émigré, de la nécessité de gouverner avec l’appui du centre gauche, qui devient chaque jour plus puissant. Dans les lois qu’il prépare, dans les nominations qu’il propose au Roi, on le voit moins préoccupé de plaire au centre droit que de ne pas déplaire au parti libéral. Il consacre à sa tâche les ressources d’une parole ardente, communicative, entraînante, qui fait de lui un orateur incomparable.

Ainsi, par un effet assez ironique des circonstances qui ont précédé et suivi la chute du cabinet Richelieu, Decazes, qui en formait l’aile gauche, est devenu l’aile droite dans le cabinet Dessoles, et c’est le rôle qu’avait tenu Richelieu contre lui qu’il va jouer à son tour. Pour l’assister, il peut compter sur deux de ses collègues : à titre éventuel, sur le maréchal Gouvion-Saint-Cyr, que la reconnaissance plus que la conviction retient à son côté ; et à titre définitif, sur le baron Portai, son ami, dont les opinions sont en tout conformes aux siennes. Mais les trois alliés en trouvent devant eux trois autres : Dessoles, de Serre, le baron Louis, unis eux aussi de conduite et de pensée. Vingt jours après la formation du ministère, on peut constater qu’il est divisé en deux camps de force égale, qui ne sont d’accord qu’en apparence quant à la marche à suivre, et dont l’un, celui de Decazes, peut à tout instant être mis en minorité, si le Maréchal, qu’y rattachent encore de récens souvenirs et des sentimens de gratitude, les sacrifie à ses convictions qui l’ont toujours rapproché des libéraux et lui ont valu la haine des ultra-royalistes.

Decazes conçoit alors l’idée de décider le Roi à nommer un septième ministre, qui, en votant dans le Conseil avec lui et ses amis, fixera de son côté la majorité. En constituant le cabinet, on a négligé de rétablir le ministère de la maison du Roi, précédemment supprimé. Il faut le rétablir et y appeler Pasquier. Mais,