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Pacifique, c’est-à-dire avec les rivières qui forment le fleuve Amour. De l’Obi à l’Iénisséi il n’y aurait même pas besoin de chemin de fer : un canal suffirait, et dès 1882, on commença en effet la construction de cette voie d’eau, longue de 190 verstes seulement, qui devait relier, à travers un pays facile, la Ket, tributaire de l’Obi à la Kass qui se jette dans l’Iénisséi. Situé à 61 degrés de latitude, traversant des forêts inhabitées et inhabitables, ce canal, aujourd’hui fini, est loin de rendre les services qu’on en attendait. A l’est de l’Iénisséi, on se trouvait aux prises non plus seulement avec les gelées, mais avec les nombreux rapides dont est encombré le cours de l’Angara, le grand émissaire du lac Baïkal ; toutes les tentatives faites pour remonter cette rivière restèrent infructueuses ; mais cela n’arrêtait pas les faiseurs de projets qui comptaient arriver par quelques travaux à en modifier le régime. Une fois le lac Baïkal atteint par la voie de l’Angara, on utilisait encore son principal affluent, la Selenga, et il ne restait que 800 verstes à franchir pour atteindre Striétensk, point initial de la navigation dans le bassin de l’Amour, Par des améliorations à certaines rivières de cette région, on espérait réduire la longueur du chemin de fer qu’il faudrait établir à 450 verstes. L’ingénieur Sidensner allait plus loin encore et prétendait, grâce à des travaux hydrauliques plus étendus, construire seulement 18 verstes de voie ferrée !

On en exécute aujourd’hui plus de 6 000 et ce n’est pas sans raison qu’on a renoncé aux utopies qu’entretenaient vers 1880 les partisans à outrance des voies d’eau. Si l’établissement à grands frais d’une voie de communication entre la Russie et le Pacifique peut être une œuvre utile et féconde, au triple point de vue politique, militaire et économique, c’est seulement à la condition que l’usage n’en soit pas subordonné aux caprices des saisons, aux gelées de l’hiver, aux sécheresses de l’été et qu’elle ne nécessite pas des transbordemens, longs et coûteux. C’est parce qu’elle ne remplissait pas ces conditions que la voie mixte par eau et par chemin de fer devait être écartée, et c’est ce que comprit parfaitement l’empereur Alexandre III. Il montra en cette circonstance, plus encore peut-être qu’en aucune autre, ce grand et ferme bon sens, cette énergique persévérance, qui en firent un grand souverain, l’un des Tsars qui ont peut-être le mieux servi la Russie. Ayant su discerner l’immense importance d’une œuvre qui permettrait à son pays de faire sentir en Extrême-Orient tout