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la garde. A la ferme du Caillou, il rejoignit le 1er bataillon de chasseurs à pied de la vieille garde. Ce bataillon, posté là pour garder le trésor et les équipages de l’Empereur, avait pour chef le commandant Duuring, Hollandais d’origine[1]. Vers sept heures du soir, deux colonnes prussiennes s’étant avancées par le bois du Chantelet dans l’intention manifeste de couper la retraite à l’armée en occupant la grande route, Duuring avait fait filer incontinent les voitures sur Genappe, d’accord avec le général Radet, grand prévôt, qui venait de rallier deux à trois cents fantassins et cavaliers démontés. Il avait ensuite déployé son bataillon face à l’ennemi. Les Prussiens (25e régiment), reçus par une vive fusillade et bientôt chargés à la baïonnette jusqu’au milieu du bois, s’étaient repliés vers Maransart. L’Empereur s’arrêta quelques instans à questionner Duuring sous les derniers boulets des batteries prussiennes de Plancenoit ; il le félicita pour la fermeté et l’esprit d’initiative dont il avait fait preuve et lui ordonna de le suivre. « — Je compte sur vous, » dit-il. Le bataillon ayant serré en masse, l’Empereur rendit la main à son cheval et marcha au pas sur le flanc de la colonne.


XI

Vers neuf heures un quart, alors que les divisions Hiller, Ryssel et Tippelskirch arrachaient Plancenoit à la jeune garde et que les carrés du 1er grenadiers tenaient encore près de la maison Decoster, Blücher et Wellington se rencontrèrent devant Tau- berge de la Belle-Alliance. Blücher suivait celles des troupes de Bülow qui avaient refoulé Lobau, Wellington arrivait de la Haie-Sainte avec les derniers échelons de son armée. On se reconnut à la clarté de la lune. Les deux généraux s’abordèrent et, selon l’expression de Gneisenau, « ils se saluèrent mutuellement vainqueurs. » Des musiques de cavalerie prussienne jouaient en passant le God save the King ; au loin le bruit de la fusillade décroissait. Les fantassins de Bülow, qui s’étaient arrêtés pour reformer leurs rangs, entonnèrent l’hymne de Luther : « Seigneur

  1. Il y a dans les papiers de la Secrétairerie d’Etat (Archives nationales A F.. IV, 1940) cette lettre de Drouot à l’Empereur, 25 avril 1815 : « Je demande une lettre de naturalisation pour le chef de bataillon aux chasseurs à pied. Duuring, Hollandais. En 1814, il m’avait demandé d’accompagner Votre Majesté à l’ile d’Elbe, mais, comme j’avais désigné Mallet, Duuring pleura très longtemps dans ma chambre. C’est un excellent officier. »