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ses soldats ; ils se ruent de nouveau à l’assaut, pénètrent dans le village. On se fusille à bout portant, on s’étreint corps à corps, on se tue à coups de baïonnette, à coups de crosse. Le tambour-major Stubert, du 2e grenadiers, un géant, assomme les Prussiens avec la pomme de sa canne. Un bataillon de jeune garde se fait exterminer dans le cimetière qui sert de réduit. Les Prussiens enlèvent les maisons une à une. On s’égorge dans les chambres, dans les greniers ; et pendant ces luttes sans merci, des toits que le feu a gagnés s’écroulent sur les combattans. « Il faut anéantir les Français, dit le major von Damitz, pour s’emparer de Plancenoit. » A la sortie du village, les débris de ces héroïques bataillons sont chargés et menés battant jusqu’au plateau. Là, c’est la cavalerie anglaise qui les achève. Le général Pelet se trouve un instant seul au milieu de l’ennemi, avec quelques hommes et le porte-aigle des chasseurs de la vieille garde. « — A moi, chasseurs ! crie-t-il d’une voix vibrante. Sauvons l’aigle ou mourons près d’elle. » Tous ceux qui entendent cet appel désespéré accourent, reviennent sur leurs pas, se font jour à travers les chevaux ; ils se rallient autour du drapeau et lui forment un impénétrable rempart de baïonnettes.

De Plancenoit, Français et Prussiens débouchent pêle-mêle sur la route de Bruxelles, près des carrés du 1er grenadiers. Les fuyards se pressent alentour pour y trouver un refuge, mais ils sont impitoyablement repoussés par le fer et par le feu. La sûreté des carrés l’exige. Le général Roguet manque d’être tué à bout portant par un grenadier. « Nous tirions, dit le général Petit, sur tout ce qui se présentait, amis et ennemis, de peur de laisser entrer les uns avec les autres. C’était un mal pour un bien. » Les carrés sont débordés par la droite et par la gauche ; les masses » anglaises et prussiennes deviennent de plus en plus nombreuses, de plus en plus compactes. Les grenadiers repoussent toutes les charges. Deux bataillons contre deux armées ! Enfin l’Empereur ordonna de quitter la position. Les grenadiers se mirent lentement en retraite, le 1er bataillon à gauche de la route, le 2e bataillon sur la route même. A chaque instant, on faisait halte pour rectifier l’alignement des faces des carrés et pour ralentir la poursuite de l’ennemi par des feux de file toujours nourris et, grâce au clair de lune, bien ajustés.

L’Empereur cheminait à quelque distance devant les carrés avec Soult, Drouot, Bertrand et cinq ou six chasseurs à cheval de