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de coercition en désaccord absolu avec l’esprit de la constitution et avec le programme libéral, à moins d’ajourner des réformes d’autant plus urgentes qu’on maintiendrait davantage le statu quo, et de compromettre jusqu’aux libertés anglaises, il n’y avait plus qu’à céder en stipulant les meilleures conditions. Il lui paraissait seulement qu’une telle entreprise ne pouvait ni ne devait se ravaler au niveau des compétitions de parti. Son rêve était d’établir une entente préalable. Même, il eût souhaité que le parti conservateur, — parce que conservateur, — eût le mérite et le profit de cette opération. Rien ne s’y opposait. Bien des précédens eussent justifié ce renversement de l’ordre normal. Tout récemment, l’entrevue secrète de lord Carnarvon, vice-roi d’Irlande, et de Parnell, les ménagemens de lord Randolph Churchill pour les nationalistes extrêmes dans le débat sur le crime de Maatransma, avaient semblé amorcer une évolution de ce genre. Gladstone sonda les tories. Il leur fit des propositions positives. Elles furent repoussées. Il ne lui restait plus qu’à assumer lui-même la responsabilité d’une révolution qu’il croyait dangereux d’ajourner. Son parti était pris : il brûla ses vaisseaux.

Le ministère était en minorité : on le renversa. Un troisième cabinet Gladstone fut formé. On savait vaguement qu’il se brassait quelque chose de formidable. Le tort de Gladstone fut d’observer un secret trop rigoureux. On l’accusa de précipitation, ne sachant pas depuis combien de temps il roulait son projet dans son esprit. On lui reprocha des cachotteries, des allures dictatoriales, la prétention excessive d’entraîner à son gré son parti aux audaces les plus folles. Le pis fut qu’il blessa doublement M. Chamberlain, en ne le mettant pas dans la confidence d’une mesure à laquelle il le croyait acquis d’avance, et en le reléguant dans un poste secondaire du cabinet, alors que M. John Morley était secrétaire pour l’Irlande. Le projet fut déposé. C’était un sincère et gigantesque effort pour résoudre un problème complexe et pour donner des garanties solides aux intérêts divers en jeu. A la mesure du home ride, comme si elle ne soulevait pas assez de difficultés, était joint un projet de rachat des terres, dans lequel Gladstone avait évidemment vu un moyen de désintéresser les landlords. L’opposition se rua avec fureur sur cette proposition et sur l’article qui excluait les députés irlandais de la Chambre des Communes. L’unité de l’empire était détruite du coup. Hartington rompit sans retour avec un ministère révolutionnaire