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Prussiens se ruent à l’assaut, débusquent des fermes les quelques poignées de braves qui tiennent encore malgré la panique et les rejettent dans les ravins. Les débris des quatre divisions de d’Erlon refluent les uns sur les autres, ce heurtent, se bousculent, se rompent mutuellement. C’est à l’est de la grande route, dans le creux du vallon, où se croisent les paquets de mitraille anglaise et les boulets prussiens, la plus lamentable confusion.

Wellington veut achever cette armée blessée à mort. Il pousse son cheval jusque sur le bord du plateau, devant le front de bataille, se découvre et agite son chapeau en l’air. On comprend ce signal. Toutes les troupes se mettent instantanément en marche dans l’ordre où elles se trouvent. Sans prendre le temps de se rassembler, les bataillons, les batteries, les escadrons des différentes divisions s’avancent côte à côte. Seules restent en place les brigades Pack, Ompteda et Kielmansegge, et deux ou trois batteries qu’empêchent littéralement de démarrer les cadavres et les carcasses de chevaux amoncelés sur leur front. De la droite à la gauche. Anglais, Hanovriens, Belges, Brunswickois, cavaliers, fantassins, artilleurs, 40 000 hommes ! dévalent en torrens, dans les premières ombres du crépuscule, au son des tambours, des bugles et des pibrochs, passant sur les morts, écrasant les blessés sous les pieds des chevaux et les roues des canons. À cette vue, effrayante même pour des braves, les derniers échelons d’infanterie font demi-tour et remontent précipitamment, avec presque toute la cavalerie, les coteaux à l’ouest de la Belle-Alliance ; les bataillons de tête, plus immédiatement menacés d’être broyés par l’avalanche, se débandent et s’enfuient[1]. On abandonne la Haie-Sainte,

  1. Müffling et les historiens allemands prétendent que c’est l’intervention de Zieten qui provoqua la déroute. Le capitaine Pringle et les historiens anglais affirment bien haut, au contraire que c’est l’attaque générale de Wellington. Comme ces deux manœuvres furent à peu près simultanées, on pourra discuter longtemps. Cependant il y eut dans la retraite de l’armée française trois mouvemens bien distincts, dont le premier et le troisième sont dus aux Anglais seuls. D’abord l’échec de la moyenne garde entraîna le fléchissement de plus des deux tiers de la ligne française ; ensuite l’irruption des Prussiens provoqua le désordre et la panique à la droite (corps de d’Erlon ; enfin la marche en avant de Wellington précipita la déroute à la gauche (corps de Reille et débris de la cavalerie.
    Il est donc faux de dire avec Müffling : « Wellington ne lança ses troupes contre les Français que pour avoir l’air de gagner la bataille sans le secours des Prussiens. » Si Wellington, à huit heures, fût resté sur ses positions, les Prussiens de Zieten auraient été vraisemblablement contenus. De même, si Zieten n’avait pas attaqué, l’Empereur aurait pu résister aux Anglais et à la Haie-Sainte et sur la route de Bruxelles et sur les rampes à l’ouest de la Belle-Alliance.