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balles arrivent en grappes. Mallet est grièvement blessé. L’un des bataillons se déploie face à Maitland, les débris des autres marchent par leur gauche contre la brigade Adam. Le colonel Colborn, que les soldats appelaient, en Espagne. « le mangeur de feu (fire eater) », entraîne le 52e. Toute la brigade le suit, baïonnette en avant. Déjà très ébranlés par cette formidable fusillade, les chasseurs fléchissent sous le nombre et se retirent en désarroi[1].


VIII

Le cri « la garde recule ! » retentit comme le glas de la Grande Armée. Chacun sent que tout est fini. L’infanterie de Reille, les cuirassiers, les escadrons de la garde qui marchent enfin pour seconder l’attaque de Ney s’arrêtent paralysés. Les soldats de Donzelot et d’Allix, aux prises sur les crêtes, au-dessus de la Haie-Sainte, avec les brigades Kruse, Lambert, Kempt, Pack, voient la garde plier. Ils cèdent aussi le terrain conquis et redescendent au pied du coteau, entraînant dans leur retraite la division Marcognet qui a abordé sur le prolongement de leur droite les positions ennemies. Sur tout le front de bataille, de la gauche à la droite, le mouvement de recul gagne et se propage avec la rapidité d’une traînée de poudre. En même temps, les fantassins de Durutte sont attaqués dans Papelotte et dans La Haie par les têtes de colonnes prussiennes débouchant du chemin d’Ohain. Ils attendaient le corps de Grouchy sur leur flanc ; c’est le corps de Zieten qui les fusille. On crie : Nous sommes trahis ! Sauve qui peut[2] ! La débandade commence, s’accroît. Les

  1. Il ressort de ces diverses péripéties de l’attaque que chacun des cinq bataillons de la garde, sauf celui qui fut opposé à Maitland, commença par repousser l’ennemi, mais que les uns et les autres cédèrent à des forces supérieures, 3 000 à peine contre 8 000 ou 10 000, et une artillerie formidable. Il parait donc, comme l’a fait remarquer à l’auteur de la The 5th Brigade at Waterloo, un officier de grenadiers prisonnier, que si l’assaut avait été donné sur un seul point par les cinq bataillons réunis, la ligne anglaise eût été certainement enfoncée. Un aide de camp de Wellington dit, de son côté, que la direction donnée à la garde fut vicieuse, qu’elle aurait dû monter en colonne droit au plateau en longeant la Haie-Sainte.
  2. Dans sa lettre au duc d’Otrante, Ney dit qu’on ne cria pas : Sauve qui peut ! A la gauche où il était, je le crois ; mais à l’extrême droite, le fait est certain. La panique, d’ailleurs, est bien explicable, si l’on songe que, dans toute l’armée, on redoutait des trahisons, que plusieurs officiers, dont un général et deux colonels, avaient déserté sur le champ de bataille, que nombre de soldats avaient reçu des cartouches sans balle, enfin, que l’on avait fait répandre le bruit de l’arrivée de Grouchy, et qu’au lieu de Grouchy survint Zieten.