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y pénètrent sans daigner tirer un coup de fusil, renversent, broient et refoulent la masse des Prussiens. L’attaque est si impétueuse qu’en vingt minutes, tout le village est nettoyé. Leurs baïonnettes rouges de sang, les grognards débouchent au dos des fuyards, les poursuivent six cents mètres et les repoussent sur le coteau opposé jusque derrière les batteries de Hiller, qui sont un instant abandonnées. La jeune garde seconde ce mouvement ; elle occupe de nouveau Plancenoit. Lobau, aux prises avec les divisions Hacke et Losthin, regagne du terrain.


VI

D’un seul coup de boutoir de sa vieille garde, Napoléon a arrêté les Prussiens. Son flanc droit dégagé, il recouvre la liberté d’agir sur le front de bataille. Il est plus de sept heures ; mais on a encore près de deux heures de jour, car le ciel s’est éclairci et le soleil brille au-dessus de Braine-l’Alleud. La canonnade de Grouchy augmente, se rapproche, gronde vers Limale. Le maréchal, suppose-t-on, a enfin joint l’armée prussienne, la combat et, vainqueur ou vaincu, la retiendra assez longtemps pour empêcher une jonction avec les Anglais. Blücher, semble-t-il, a pu détacher le seul corps de Bülow que Lobau, Duhesme et deux bataillons de la vieille garde suffisent désormais à contenir. L’Empereur braque sa lunette du côté des Anglais. Les points d’où partent les feux d’artillerie et de mousqueterie et la direction de ces feux lui servent de repères. A l’extrême droite, la division Durutte, maîtresse de Papelotte et de la Haie, commence à gravir le plateau. A la gauche, la lutte continue autour de Hougoumont en flammes ; une brigade de Jérôme déborde la position, les tirailleurs français, soutenus par les lanciers de Pire, dépassent la route de Nivelles. Au centre, au-dessus de la Haie-Sainte, d’où l’ennemi est enfin débusqué, les soldats de Donzelot, d’Allix et de Marcognet couronnent les premières crêtes et pressent vivement les Anglais le long du chemin d’Ohain. Dans le vallon, se rallient six régimens de Bachelu et de Foy et les débris de la cavalerie. La ligne ennemie paraît ébranlée. L’Empereur présume que Wellington a engagé toutes ses troupes. Lui a encore sa vieille garde, ses invincibles. C’est l’heure où la victoire indécise se donne au plus acharné. Il commande à Drouot de former en colonne d’attaque dix bataillons de la garde (des cinq autres,