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gravissent sous la mitraille les pentes boueuses de Mont-Saint-Jean, s’emparent des canons, couronnent la hauteur, fondent sur l’infanterie, sillonnent d’éclairs d’épées tout l’échiquier des carrés.

Plus d’un Anglais croyait la partie perdue. Des batteries de réserve prenaient leurs dispositions pour battre en retraite au premier ordre. Le colonel d’artillerie Gould dit : « — Je crains bien que tout ne soit fini. » De la Belle-Alliance, on remarquait ces magnifiques chevauchées ; on voyait les canons abandonnés, les cavaliers galopant sur le plateau, les lignes ennemies percées, les carrés entourés ; on criait victoire autour de l’Empereur. Lui était surpris et mécontent que sa cavalerie se fût engagée sans ses ordres contre des troupes encore inébranlées. Il dit à Soult : « — Voilà un mouvement prématuré qui pourra avoir des résultats funestes sur cette journée. » Le major général s’emporta contre Ney : « — Il nous compromet comme à Iéna ! » L’Empereur promena un long regard sur le champ de bataille, réfléchit un instant, puis reprit : « — C’est trop tôt d’une heure, mais il faut soutenir ce qui est fait. » Il envoya un de ses aides de camp, le général Flahaut, porter à Kellermann l’ordre de charger avec les quatre brigades de cuirassiers et de carabiniers.

Kellermann jugeait, comme l’Empereur, que le mouvement de Milhaud avait été prématuré ; il croyait imprudent d’engager aussi sa propre cavalerie. Il allait peut-être exposer ses raisons à Flahaut, quand le général Lhéritier, commandant la première division (cuirassiers et dragons), la mit en marche au grand trot sans attendre aucun commandement. Kellermann dut suivre avec sa seconde division, composée des 2e et 3e cuirassiers et des 1er et 2e carabiniers ; mais, non loin de Hougoumont, il arrêta la brigade de carabiniers dans un pli de terrain, en faisant défense formelle au général Blancard de bouger de là, à moins d’un ordre exprès de lui-même Kellermann. Sage précaution, car ces huit cents carabiniers étaient désormais la seule réserve de cavalerie qui restât à l’armée. Flahaut, selon les instructions de l’Empereur, avait transmis l’ordre de charger non seulement à Kellermann mais aussi au général Guyot, commandant la grosse cavalerie de la garde (dragons et grenadiers à cheval).

L’Empereur a dit qu’il avait dû faire soutenir les divisions de Milhaud dans la crainte qu’un échec de celles-ci, subi devant toute l’armée, n’abattît les courages et n’entraînât la panique et la