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ses conclusions n’ayant pas été admises par la cour d’assises. Nous croyons qu’il se trompe, et que sa prétention n’est pas soutenable. Évidemment, le délit de M. Zola se rattache au crime de Dreyfus, en ce sens que, si le second n’avait pas eu lieu, le premier n’aurait pas pu se produire ; mais l’un n’en reste pas moins distinct de l’autre. De quelque manière que l’on pose la question Dreyfus, M. Zola, lui, n’en est pas moins coupable d’avoir diffamé et outragé le conseil de guerre et l’état-major général de l’armée. M. Zola parle sans cesse de faire « la preuve » de ce qu’il a énoncé : qu’il la fasse, personne ne l’en empêche ! Mais la preuve qu’on lui demande n’est pas celle de l’innocence de Dreyfus, c’est celle de la forfaiture du conseil de guerre. Qu’il la fournisse, qu’il l’administre, comme s’exprime son avocat ! On l’y invite, on l’écoute ! Mais il ne dit rien. Quoique présent à l’audience, il déclare faire défaut, et, le soir même, il prend le train et passe, ou fait semblant de passer la frontière.

M. Zola, toujours épris de romanesque et d’effets de mise en scène, a envoyé une note aux journaux pour expliquer sa fuite ; car c’est une fuite, quoi qu’en disent ses amis, et tel est bien là le caractère qu’il a voulu lui-même donner à son départ. Il aurait pu, comme tout le monde, aller faire un voyage en Suisse, sans que personne s’en étonnât. Quoi de plus simple et de plus naturel ? Mais, précisément, c’était trop simple et trop naturel : ce n’était pas assez théâtral, assez dramatique, assez impressionnant. S’en aller discrètement, à l’anglaise, ne convenait pas à M. Zola : il voulait faire claquer bruyamment les portes. Il faut admirer, chez M. Zola, ce trait de génie qui l’a conduit à donner une si grande importance à un déplacement auquel la majorité de ses contemporains en attache si peu, en cette saison. Plusieurs comparaisons historiques se sont aussitôt présentées à l’esprit. Les amis de M. Zola écartent avec mauvaise humeur celle du général Boulanger, — pourtant, de lui aussi on disait qu’il reviendrait ; — mais ils acceptent volontiers celle de Mahomet quittant la Mecque, ce qui lui réussit davantage. Quand nous disons qu’ils l’acceptent, cela n’est pas tout à fait exact : ils la proposent, ils la suggèrent ; car personne n’y songeait. Peut-être serait-il plus modeste, et plus respectueux des proportions normales, de rappeler le départ de M. Drumont pour Bruxelles ; car M. Drumont en est revenu, et nous craignons fort que M. Zola ne revienne aussi comme il l’annonce. Il a pleine confiance dans la Cour de cassation, et il attend qu’elle ait prononcé sur la question de « connexité. » Mais si elle se prononce contre lui, — car tout est possible, — que fera M. Zola ? Reviendra-t-il