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Cœsicium, ainsi nommé, parce qu’il s’ouvre
Sur la poitrine, — là, jusqu’en bas, — et découvre,
En suivant les contours du sein, comme cela...


Or, nous voyons que l’énigmatique et silencieuse esclave Blandine est aimée d’un jeune charpentier, nommé Ponticus. Elle lui dit : « Veux-tu de moi pour sœur ? » Il lui répond : « Non, pour femme ! » Sur quoi elle lui donne rendez-vous, la nuit prochaine, à l’assemblée des chrétiens, dans le propre temple de Rome et d’Auguste. Le médecin Alexandre doit conduire à cette même assemblée Attale et Æmilia, qui sont curieux de savoir ce que c’est que ces chrétiens. Et nous, nous disons que le jeune Ponticus se fera sans doute prier avant de céder Blandine à Jésus ; qu’Attale et Æmilia, passionnément amoureux l’un de l’autre, ne semblent pas dans les meilleures conditions pour embrasser la religion du crucifié, et qu’ils y feront quelque résistance ; ou bien qu’Æmilia se convertira seule, et que sa lutte contre Attale sera, du moins, l’un des principaux épisodes de cette tragédie...

Mais rien de tout cela.

La vie et de la passion de Jésus, contées à sa façon par Blandine, — en un récit naïf, décousu et ardent, tout à fait convenable à la simplicité et à l’imagination passionnée d’une esclave ignorante, — décident instantanément le jeune Ponticus, cependant qu’Attale et Æmilia cèdent à la première exhortation de l’évêque Pothin.

Et nous connaissons alors que l’objet de M. Jules Barbier n’est point une aventure particulière, mais la tragique et sanglante et merveilleuse histoire de l’Eglise de Lyon en la dix-septième année du règne de Marc-Antonin ; que son dessein est de nous peindre des phénomènes moraux collectifs, de nous montrer, dans tout un groupe de chrétiens, la contagion de la foi et de l’héroïsme, la sublime émulation et, proprement, l’ivresse du martyre ; et, si vous voulez, de donner une forme dramatique au chapitre dix-neuvième du Marc-Aurèle d’Ernest Renan.

Ce dessein apparaît en plein dans la seconde moitié de la pièce. — Ce qui nous est montré plus spécialement au troisième acte, c’est l’émulation pour confesser la foi et pour se faire arrêter. Æmilia et Attale songent un instant à fuir. Ils emmèneront Blandine avec eux. Alors (et, vraiment, l’idée est belle) l’esclave demande la liberté à sa maîtresse. « Au nom de Jésus, je t’affranchis, dit Æmilia. Mais pourquoi as-tu voulu être libre ? — Pour mourir, » répond Blandine. — Et là-dessus, le gouverneur étant entré et Epagathus s’ôtant lui-même dénoncé comme chrétien, Æmilia et Attale se dénoncent librement à