Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/721

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE DRAMATIQUE

Bibliographie : deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode.


Blandine et l’Incendie de Rome ne se distinguent guère, à première vue, des autres tragédies chrétiennes et romaines qu’on a écrites chez nous depuis Caligula. Mais, si l’on y regarde de plus près, on finit par voir que la pièce de M. Barbier et celle de MM. Éphraïm et La Rode ont chacune leur dessein particulier, que je vous dirai tout à l’heure.

Une tragédie chrétienne dont l’action se passe à un moment quelconque des trois premiers siècles de l’Empire, de Néron à Dioclétien, cela comporte un certain nombre de personnages sans doute inévitables. Il y a l’esclave chrétien ; le philosophe stoïcien ; l’épicurien sceptique et tolérant, qui ressemble plus ou moins au Sévère de Polyeucte, et le fonctionnaire romain, qui fait plus ou moins songer à Félix. Surtout il y a, — formé sur le modèle de l’inquiète Leuconoé d’Horace, laquelle interrogeait tous les dieux afin de trouver le bon, — la patricienne de décadence qui a du vague à l’âme, et qui se fait chrétienne par romantisme.

Ce dernier type n’est pas dans Corneille, et pour cause, non plus que le vague christianisme lyrique, humanitaire et sourdement sensuel qui s’exhale de lame lettrée de ces Leuconoés, un peu tournées en Lélias. Le christianisme de Polyeucte et de Néarque n’est ni vide ni flottant. Il a sa théologie très arrêtée. Il est solide et précis, volontiers disputeur, comme il apparaît par les dissertations de Néarque sur la Hrâce. Ce n’est peut-être pas le christianisme de l’Eglise primitive ; mais c’est celui du XVIIe siècle. Au moins on sait à quoi l’on a affaire. Mais souvent, dans des tragédies chrétiennes qu’on nous fait encore, les martyrs semblent verser leur sang pour un « idéal » aussi peu formulé que celui des poètes romantiques, ou, tout au plus, pour la religion de Pierre Leroux et de George Sand, et quelquefois pour celle du prince Kropotkine.

Et il y a la « couleur locale », la fâcheuse couleur locale romaine,