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qui sont intrus ; bien plus, je sais que le général de la Doctrine a donné à dîner à l’intrus de Bourges, Torné. » Il avait tort d’en vouloir à Torné, qui lui rendra service dans les sanglantes journées de Septembre ; mais il se montrait impitoyable pour tout prêtre qui avait prêté le serment civique et accepté la constitution civile du clergé.

On annonçait que quatorze ou quinze évêques constitutionnels, mécontens de leur situation, méprisés de leur troupeau, paraissaient disposés à abjurer leur erreur, à abdiquer l’épiscopat. L’abbé craignait que sa Sainteté n’usât de clémence à l’égard de ces rebelles repentans : « La gloire et l’honneur de l’Église semblent exiger peut-être que le chef auguste de la religion ne se relâche point de la sévérité des saints canons sur la peine à infliger à ces évêques intrus, même après leur désistement ; car si on les recevait sans exiger d’eux aucune épreuve ou sans leur infliger aucune pénitence, le peuple s’imaginerait qu’on peut disposer des sièges épiscopaux comme d’un gouvernement de province. » Il représentait aussi au secrétaire d’État qu’il serait souverainement dangereux de donner des évêchés in partibus à ces pécheurs tardivement touches de la grâce, que ce serait assigner une sorte de récompense à leurs forfaits, que tant de mansuétude affecterait péniblement la partie saine du clergé.

Quant aux prélats schismatiques, il désirait qu’on leur infligeât des peines proportionnées à leur crime. Il engageait le Saint-Père à remettre en usage la dégradation, abolie de fait. Il demandait qu’aussitôt l’ordre rétabli en France, chaque évêque légitime fit amener devant lui l’intrus qui avait usurpé son siège et le dégradât publiquement, selon les formes prescrites dans le pontifical romain. Il pensait que cette imposante cérémonie produirait une heureuse et salutaire impression, que les peuples avaient été détournés de l’Église « par des sensations physiques », que des sensations physiques pouvaient seules les ramener à la foi : « Par ce moyen, justice exemplaire sera faite. La multitude même de ces intrus en fait une loi, car quatre-vingt-trois évêques intrus, répandus dans la société, pourraient bien dans la suite profiter des ténèbres pour exercer des fonctions épiscopales et répandre leur doctrine. Voilà, monseigneur, les réflexions que j’ai cru nécessaire de faire à Votre Éminence ; elle voudra bien les méditer profondément. »

Terrible pour les intrus, pour le schisme et pour l’hérésie, il se défiait de l’orthodoxie la plus pure lorsqu’elle mettait des conditions à son obéissance, lorsqu’elle s’arrogeait le droit de raisonner.

« J’ai eu l’occasion de voir l’archevêque d’Arles, et nous avons beaucoup parlé des affaires ecclésiastiques. Je n’ai pas été parfaitement