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temps et le discernement des cas particuliers, et elle avait reconnu de bonne heure que la Révolution était un de ces cas spéciaux, auxquels il est dangereux d’appliquer les règles communes.

L’abbé de Salamon n’était ni un politique ni un philosophe, et il n’avait pas cette souplesse d’esprit qui distingue les vrais hommes d’Église. Il ne voyait dans la Révolution qu’un affreux désordre, qui ne pouvait durer. Plus la bourrasque était terrible, plus on avait lieu de croire qu’elle serait courte et qu’avant peu, tout rentrerait dans l’ordre. Ne comprenant rien aux idées nouvelles et aux passions révolutionnaires, jacobins, feuillans, constituans, royalistes libéraux n’étaient à ses yeux que des pervers ou des égarés. Il tenait pour certain que les égarés viendraient bientôt à résipiscence, qu’on mettrait les pervers à la raison, que l’ancien régime renaîtrait de ses cendres, que le nouvel ordre de choses disparaîtrait en une nuit sans laisser dans le monde aucune trace de son sinistre passage. Il en concluait qu’il ne fallait point traiter avec ce fantôme, il posait en principe que les concessions déshonorent et perdent ceux qui les font ; il avait horreur des compromis, il était le plus intransigeant des hommes.

Tel il s’était montré avant 1789, lorsqu’il siégeait au Parlement, où on l’appelait, disait-il, « le petit ultramontain, sans que cela diminuât l’attachement et la considération que lui témoignait la Compagnie. » Il s’est vanté dans ses Mémoires d’avoir déployé un grand zèle contre l’édit, enregistré le 9 janvier 1788, qui rendait aux protestans l’état civil, et qui, selon lui, n’eût point passé si au dernier moment l’archevêque de Paris n’avait trahi la bonne cause : sa désertion en entraîna beaucoup d’autres. Il avait dénoncé à Rome l’indigne conduite de Mgr Dillon, archevêque de Narbonne, qui en prenant congé du roi, à la tête du clergé, « n’avait pas rougi de le remercier de l’édit des non-catholiques. » Il se plaignait que le clergé, « corps faible et qui n’a point de nerf, » n’eût pas désavoué cette humiliante démarche. — « Ah ! mon cher abbé, lui dit un jour le duc de Brissac, où allons- nous ? Si nous n’avions pas laissé passer l’édit des protestans, nous n’en serions peut-être pas là. — J’en gémis tous les jours, monsieur le duc, répondit-il. Au moins ce n’est ni votre faute ni la mienne. »

Il se plaignait que le clergé n’eût pas de nerf, il se plaignait aussi « qu’il se glissât beaucoup de philosophie dans tous les états » et jusque dans la tête de quelques évêques. Il les trouvait trop timides, trop circonspects, trop désireux de contenter tout le monde. Il accusait l’Oratoire et la Doctrine chrétienne de se mal conduire : « Ils n’ont donné aucune improbation à ceux de leurs membres qui ont juré ou