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et si l’on me dit qu’il y est 2 heures du soir, c’est au contraire l’image de la ville active et affairée qui s’offre aussitôt à mon esprit.

Jusqu’à quel degré faut-il que cette concordance de l’heure conventionnelle avec le temps local soit respectée ? C’est ce qu’il est difficile de dire. Ce n’est pas à quelques minutes près, que les faits journaliers de la vie publique et privée se règlent sur le soleil. Il y a une certaine élasticité dans le jeu des habitudes sociales. Elles ne sont d’ailleurs pas uniformes chez tous les hommes ; la journée ne commence pas aux mêmes heures pour le campagnard et le citadin ; elle ne finit pas non plus aux mêmes heures. On admet généralement qu’une différence d’une demi-heure n’est pas sensible et n’aurait pas d’inconvénient. M. Forel, de Genève, s’est déclaré prêt à soutenir cette gageure, que, si l’on reculait toutes les horloges d’une demi-heure sur le temps local sans en prévenir le public, personne, sauf quelques spécialistes, ne s’apercevrait du changement. Tout au contraire, M. Fœrster, le directeur de l’observatoire de Berlin, prétendait qu’une différence de quelques minutes est déjà très appréciable, et que tout le monde est en état de se rendre compte de l’écart de 15 à 16 minutes qui se produit au mois de novembre entre le temps moyen et le temps vrai. En 1890, l’Académie des Sciences de Belgique exprimait un avis analogue. L’expérience a montré que cette opinion est entachée de quelque exagération. Le paysan lui-même, dont les travaux sont le plus étroitement liés à la régularité solaire, n’a besoin de l’heure qu’à une demi-heure près : il ne lui faut une plus grande précision que pour les affaires qui l’appellent à la ville.

Cette obligation fondamentale d’un faible écart entre le temps conventionnel et le temps vrai est suffisamment respectée par l’adoption de l’heure nationale unique, dans les pays de faible étendue en longitude, comme la France et la plupart des États européens. Mais déjà on est bien près de la limite où la différence deviendrait excessive. À Brest, par exemple, l’heure normale avance de 27 minutes sur le temps vrai, et cet excès s’accroît, au milieu de février, de la différence du temps moyen au temps vrai : la culmination du soleil (le passage au méridien), s’y produit à midi 43 minutes et par conséquent la matinée dure environ trois quarts d’heure de plus que la soirée. À Bastia, aux environs de la Toussaint, la situation est inverse et le midi vrai arrive à 11 heures et quart.