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et Lucas Faydherbe. Il félicite affectueusement le premier et lui exprime le regret que l’âge et la goutte le privent du plaisir d’aller admirer ses récentes productions « dont l’éclat rejaillira un jour sur la Flandre, leur très chère patrie. » Malgré la gravité croissante de son mal, il oublie ses souffrances pour envoyer du ton le plus jovial à son élève Faydherbe tous ses vœux à l’occasion du mariage que celui-ci vient de contracter à Matines. Il le charge de ses hommages pour sa mère, « qui a dû bien rire en voyant que le projet d’un voyage en Italie formé par Lucas a avorté et qu’au lieu de perdre son fils, elle vient de gagner une fille qui bientôt, avec l’aide de Dieu, la rendra grand’mère. » Cette absence complète de morgue, et cette franche camaraderie de Rubens avaient produit les plus heureux effets et, grâce à son influence, des relations d’une extrême cordialité régnaient entre les artistes d’Anvers qui, à ce moment, semblaient ne former qu’une grande famille.

Des qualités si rares rendaient Rubens cher à tous ceux qui l’approchaient. Il avait des amis très dévoués auxquels il portait une très vive affection. Habile à juger les hommes, il discernait bien vite ceux à qui il pouvait donner sa confiance ; à ceux-là il la donnait tout entière. Peiresc notamment lui inspirait une complète sûreté. Aussi dans ses lettres, se sachant avec lui en parfaite communauté de sentimens, il se découvre tout entier, aborde tous les sujets et s’exprime sur tous avec une entière indépendance. Dans ses jugemens sur les hommes publics, s’il est naturellement disposé à mettre en relief les qualités qu’il prise en eux, il les voit cependant tels qu’ils sont. Il a assez pratiqué Spinola, pour le bien connaître, et il possède « une centurie de ses lettres. » Il le tient « pour un homme prudent, avisé autant que qui que ce soit au monde, très renfermé dans tous ses projets ; peu éloquent, mais plutôt par crainte d’en dire trop que par manque de facilité et d’esprit. De sa valeur, il n’y a pas à en parler ; elle est assez connue de tous. » Rubens l’avait d’abord assez mal jugé et se défiait de lui « en tant qu’Italien et Génois ; mais il l’a toujours trouvé ferme, résolu et d’une entière bonne foi. » En revanche, il convient « qu’il ne s’intéresse nullement à la peinture et n’y entend pas plus qu’un portefaix ; sur ce point, il va de pair avec la Reyne de France. »

On le voit, avec un esprit plutôt porté à la bienveillance, Rubens s’applique avant tout à être sincère. Il sait ce qu’il peut