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IV

Prises dans leur ensemble, les indications qui précèdent nous ont déjà fourni bien des lumières sur le caractère et les goûts de Rubens. En essayant de pénétrer plus avant dans son intimité, sa correspondance aussi bien que les témoignages des contemporains nous donneraient encore bien des preuves de sa bonté, de sa douceur et de sa simplicité. Elles lui gagnaient tous les cœurs et, dans les regrets unanimes qu’avait excités sa mort, les aimables qualités de l’homme avaient autant de part que le mérite éclatant du peintre. Il s’était toujours montré plein de tendresse pour les siens. Élevé par une mère héroïque, il avait honoré sa mémoire en pratiquant ses vertus. Après la mort d’un frère bien-aimé, il reportait sur ses neveux l’affection qu’il avait pour lui et veillait sur eux avec la même sollicitude que s’ils avaient été ses enfans. Quand il s’était marié, la famille d’Isabelle Brant était devenue la sienne propre et les dix-sept années que dura cette union furent pour les deux époux des années de félicité sans mélange. La mort d’Isabelle fut le premier et le seul chagrin que cette épouse chérie eût jamais causé à Rubens. Ainsi qu’il le disait à son ami P. Du Puy, il avait perdu en elle « une compagne excellente qu’il pouvait, qu’il devait aimer à juste titre, car elle n’avait aucun défaut : d’une humeur toujours égale, elle ne montrait en rien cette prétention de commander qui est commune à tant de femmes. Elle était toute bonté, toute honnêteté, aussi aimée pour ses vertus pendant sa vie qu’universellement regrettée après sa mort. »

Les déplacemens nécessités par les missions dont il fut chargé à ce moment, et surtout le travail assidu auquel il s’était remis dès qu’il l’avait pu, apportaient peu à peu quelque diversion à sa peine. Puis, avec le temps, sa solitude commençant à lui peser, il avait trouvé dans le cercle de ses relations familières une jeune fille dont la fraîcheur et la grâce enfantine avaient attiré ses regards et charmé son cœur. Si sensé qu’il fût, en dépit d’une extrême disproportion d’âge, cédant à un sentiment de passion, il l’avait épousée. Dans cette vie jusque-là si bien réglée, un mariage pareil était une faute ; mais, à ne considérer les choses qu’au point de vue de notre égoïsme esthétique, il faut bien reconnaître que cette faute nous a valu de nombreux chefs-d’œuvre.