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amoindri, les chairs molles, la physionomie éteinte et attristée, ayant encore grande mine pourtant et gardant jusqu’au bout son air de noblesse et de distinction.

Si violentes que soient les souffrances qui l’ont réduit en cet état, Rubens ne profère jamais une plainte. Tout au plus rencontre-t-on çà et là dans sa correspondance quelque trace de l’ennui auquel le condamne l’inaction causée par ces retours de la maladie. Les voyages qu’il est obligé de faire en Espagne et en Angleterre, la vie qu’il y mène à la cour, si différente de celle qu’il avait à son foyer, n’ont pu qu’aggraver cette situation. En 1635, à la suite des fatigues excessives, occasionnées par les préparatifs de l’entrée triomphale de l’archiduc Ferdinand à Anvers, un accès de goutte plus aigu le cloue à son logis où le prince vient lui-même pour le voir et lui adresser ses remerciemens et ses félicitations. C’est en vain que Rubens essaiera de réagir contre les progrès du mal en prolongeant ses séjours à Steen, car il retrouve en rentrant à Anvers toutes les exigences d’une vie trop en vue et condamnée à un labeur incessant. Il y suffit tant qu’il put avec ce courage stoïque qui se dérobait sous l’aménité constante de son humeur. Quelles inquiétudes d’ailleurs aurait-on pu concevoir au sujet de sa santé ? Jamais son pinceau n’avait été plus vaillant ; jamais il n’avait produit des œuvres plus abondantes, plus animées ; jamais ses colorations n’avaient été plus gaies, ses harmonies plus éclatantes. C’est, en effet, le moment de ces compositions débordantes de vie, enfiévrées de mouvement, qui coup sur coup se succèdent et remplissent ses dernières années : la Kermesse et le Tournoi du Louvre, le Portement de Croix de Bruxelles, l’Offrande à Vénus de Vienne, le Croc-en-jambe de Munich, les Nymphes surprises et le Jardin d’Amour de Madrid. Et cependant sa mort était prochaine. Il la vit venir calme et résigné. Au milieu des enivremens de la gloire et des joies de son bonheur domestique, il y avait toujours pensé ; il avait toujours été prêt. La sérénité de son âme fît bien voir à cette heure suprême que les assurances de détachement et de renoncement absolu qu’à toutes les époques de sa brillante existence il se plaisait à exprimer n’étaient point des protestations de parade, des lieux communs littéraires suggérés par la lecture des moralistes et des philosophes. Elles avaient leur source, au plus profond de son être, dans une âme vraiment chrétienne. Avec cet esprit d’ordre dont il avait déjà donné tant de preuves, le