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n’avait donc pas été trop dégarnie, et, grâce à la grosse somme qu’il venait de toucher, il put en peu de temps lui rendre par de nouveaux achats sa splendeur première. En France, en Italie, en Allemagne, il avait des agens chargés de lui procurer tout ce qui leur paraissait digne de figurer dans ses collections et Sandrart nous apprend qu’à Augsbourg un certain Petel, bien que Rubens ne se montrât pas envers lui d’une très grande générosité, ne cessait pas de lui adresser des envois. Au bout de quelques années, l’habitation de l’artiste avait repris tout son éclat et il s’y trouvait de nouveau un peu à l’étroit, car, le 28 juillet 1627, il l’agrandissait en se rendant acquéreur de trois maisonnettes contiguës.

Divers documens nous permettent non seulement d’apprécier l’importance des collections que Rubens avait formées, mais de nous rendre compte de ses goûts. Sans parler des treize tableaux de lui qui sont portés sur la liste des objets cédés à Buckingham, nous relevons sur cette liste : 49 peintures de Titien, 17 de Tintoret, 13 de Paul Véronèse, 21 de Bassan, 3 de Léonard et 3 de Raphaël. On le voit, les prédilections du grand coloriste pour l’école vénitienne sont ici très nettement marquées. Leur persistance se trouve confirmée par l’inventaire dressé après sa mort, sur lequel figurent non seulement 11 ouvrages de Titien, 6 de Tintoret et 7 de Paul Véronèse, qu’il avait pu encore se procurer depuis la vente faite à Buckingham, mais jusqu’à 32 copies, dont 21 de portraits, exécutées par lui d’après Titien pour lequel il professa toujours un véritable culte. De ces copies, les unes avaient été faites en Italie pendant sa jeunesse, d’autres dans sa pleine maturité, lors de son second voyage en Espagne en 1628. C’est là un fait significatif et qui atteste la profonde admiration que, durant toute sa vie, Rubens conserva pour les maîtres de Venise et surtout pour Titien, vers lequel il se sentait attiré par de nombreuses affinités. Mais trop intelligent pour être exclusif, il goûtait les talens les plus divers et les noms de Raphaël, de Ribera, de Bronzino, de Van Eyck, Holbein, Lucas de Leyde, Elsheimer, Quintin Massys, Henri de Ries, Scorel, Antonio Moro, Michel Cocxie, W. Key, S. Vrancx, Josse de Momper, Palamedes, Snayers, de Vlieger, Porcellis, Poelenburgh, Heda, van Es, etc., dont les œuvres figurent également sur son inventaire, témoignent de l’éclectisme éclairé qui présidait à ses choix. Signalons à part onze tableaux du vieux Brueghel dont la verdeur et la verve