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eux-mêmes, se détournaient de leur chemin pour passer par Anvers et voir toutes ces merveilles. On comprend l’ennui que devait éprouver Rubens quand il lui fallait s’éloigner de cet intérieur où tant de séductions et de si diverses s’unissaient pour le retenir. A la suite de la mort d’Isabelle, sa fidèle compagne, il était resté quelque temps accablé dans cette maison, vide désormais, où les souvenirs de son bonheur détruit, « en se présentant à chaque instant à ses regards, renouvelaient sa douleur[1]. » Puis, croyant trouver dans les voyages et dans la politique une diversion à son chagrin, il avait accepté la mission en Hollande dont l’avait chargé la gouvernante des Pays-Bas. Malheureusement, ainsi qu’il le disait : « C’est avec moi-même que je voyagerai ; ce sont mes pensées que j’emporterai partout avec moi dans mes pérégrinations. » Au retour, il s’était replongé dans le travail, dans la lecture, dans toutes les études qui pouvaient remplir sa vie solitaire et donner satisfaction à ce besoin impérieux d’activité qui était en lui. C’était là le seul refuge efficace qu’il pût espérer contre lui-même et, avec le temps, il avait repris un peu de goût à ses tableaux, à ses sculptures, à ses médailles, à tous les objets précieux dont il était entouré. Mais, tout en cédant à des distractions si légitimes, il entendait bien ne pas se laisser entraîner au delà de ce qu’il jugeait raisonnable et conserver toujours cette possession de soi-même qui lui paraissait le propre d’une âme vraiment libre. Il allait à ce moment même en donner une preuve bien significative en se séparant de ces collections qu’il avait eu tant de plaisir à rassembler. Le duc de Buckingham, en effet, — autant par le désir de les posséder lui-même que pour rendre Rubens favorable à ses visées politiques, — lui en ayant offert le prix très Respectable de 100 000 florins, celui-ci avait consenti à les lui céder. En cette occasion encore, au dire de Michel Le Blond, qui leur avait servi d’intermédiaire, l’artiste montra dans toute la conduite de cette affaire l’intelligence et le sens pratique qu’il avait déjà manifestés dans ses rapports avec sir Dudley. Pour masquer un peu le vide que l’enlèvement de tous ces objets précieux allait causer dans sa demeure. Rubens s’était d’ailleurs réservé le droit de faire exécuter des copies des peintures, des moulages de ses antiques, et des empreintes de ses gemmes, qui prirent la place des œuvres disparues. Sa maison

  1. Lettre de Rubens à Dupuy ; 15 juillet 1626.