Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/665

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ensuite avec des yeux frais, avec une intelligence vive et une promptitude de main qui y répandait entièrement son esprit ; ce qui lui acquit beaucoup de bien en peu de temps[1]. »

Pour compléter ces renseignemens, un curieux tableau du musée de Stockholm nous permet de jeter un coup d’œil sur l’intérieur même du grand artiste. Connu depuis longtemps sous le nom de Salon de Rubens, il représente un parloir d’une élégante simplicité dont les grandes fenêtres donnent sur un jardin et laissent pénétrer à flots la lumière. La pièce, tendue de cuir verdâtre avec des ornemens dorés, — des chimères et des enfans groupés autour de vases et de colonnes, — est meublée avec un luxe sévère et d’un goût parfait : haute cheminée en marbre noir soutenue par des colonnes de marbre rougeâtre et garnie de grands chenets dorés ; à droite, un dressoir en chêne clair et verni ; de l’autre côté, sous les fenêtres, une table à pieds massifs recouverte d’un tapis d’Orient ; des chaises de cuir avec des coussins brodés de fleurs ; trois tableaux pendus à la muraille et un autre surmontant la cheminée. Au premier plan, deux dames richement vêtues causent entre elles : ce sont deux amies, car, rapprochées l’une de l’autre, elles se tiennent familièrement par la main. Devant elles, trois enfans jouent avec un petit chien assis sur une chaise, tandis que sa mère, une chienne épagneule blanche tachetée de roux, les regarde d’un air inquiet. Ce tableau d’une harmonie exquise a été autrefois faussement attribué à Van Dyck dont il ne rappelle en rien l’exécution. Peut-être a-t-il été peint par Cornelis de Vos, et bien qu’on n’en puisse citer de cet artiste aucun autre de ce genre, ni de ces dimensions, il est assez dans sa manière. D’autre part, la plus âgée des deux dames ressemble fort à Suzanne Cock, la femme de De Vos, telle qu’il l’a représentée, et presque avec le même costume, dans le beau Portrait de Famille du Musée de Bruxelles. Quant à la dénomination de Salon de Rubens, contredite par plusieurs critiques, elle est, au contraire, proposée comme fort probable par l’aimable et savant directeur du Musée de Stockholm, M. G. Gœthe, et comme lui nous la croyons tout à fait justifiée par un ensemble de prouves qui nous paraissent décisives. Dans un acte de vente de la maison de Rubens, passé en 1701, il est parlé de cuirs dorés garnissant un des salons ; le tapis de table à fond rouge et à

  1. Roger de Piles, Abrégé de la vie des peintres ; Paris, 1699, I vol., p. 303.