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et, grâce aux sommes plus importantes que successivement il consacrait à ces accroissemens, Rubens avait fini par avoir un véritable palais, tout à fait approprié à ses besoins et à ses goûts. L’aspect trahissait sa prédilection pour ces monumens italiens qu’il avait tant admirés pendant son séjour au delà des monts et dont l’étude qu’il publiait en 1622 sur les Palais de Gênes atteste chez lui la vivace préoccupation. Dans les quelques lignes qu’en guise de préface il met en tête de cette publication, il se réjouit, en effet, « de voir peu à peu dans les Flandres l’ancien style dit barbare ou gothique passer de mode et disparaître pour faire place à des ordonnances symétriques, conformes aux règles de l’antiquité grecque ou romaine, que des hommes d’un goût supérieur avaient mises en pratique pour le plus grand honneur de ce pays. » En tirant de ses cartons les dessins et les plans qu’il avait réunis en Italie, Rubens pensait contribuer à une œuvre utile. Si, avec son esprit judicieux et pénétrant, il proclame la vérité de ce principe que « l’exacte accommodation des édifices à leur destination concourt presque toujours à leur beauté, » il faut cependant avouer que le style de sa maison s’écarte beaucoup de la pureté de formes et de proportions qu’il vante dans l’architecture classique. Deux planches gravées par Harrewyn, en 1684 et 1692, nous permettent d’apprécier ce que cette maison était encore à cette époque, alors qu’elle n’avait pas subi de changemens bien notables. Au lieu de la correction et de la sobriété que préconise Rubens, il est plus juste d’y reconnaître ce mélange pompeux de style flamand et de style italien qui était chez lui la résultante de son goût natif et des influences multiples qu’il avait subies. Les lignes parfois tourmentées et les proportions un peu massives présentent plus de force que d’élégance. Mais si les détails semblent exubérans, du moins, dans leur profusion, ces vases, ces bas-reliefs, ces pilastres, ces termes et ces bustes placés entre les fenêtres sont agréables à voir. L’édifice a son caractère propre et la richesse de ces inventions décoratives manifeste bien la facile abondance de ce génie à la fois si original et si complexe, chez lequel les profits d’une longue éducation et d’une étude continue s’ajoutent et s’allient d’une manière très intime aux dons d’une nature très puissante. A défaut de proportions bien harmonieuses, les franches découpures du portique, l’heureuse perspective du pavillon placé dans son axe à l’extrémité du jardin, les nuances variées des matériaux, les peintures même