Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

retrouvé sa mère. Au moment même où il recevait à Rome la nouvelle de l’aggravation de sa maladie, cette femme admirable, dont le dévouement et la tendre affection avaient entouré sa jeunesse, venait de succomber. Tout entier à sa douleur, son fils pouvait du moins retrouver son souvenir dans l’humble réduit de la Kloosterstraat où s’étaient écoulés ses derniers jours. En admettant qu’il eût conservé vaguement la pensée de retourner à Mantoue, les marques de sympathie et, bientôt après, les commandes qu’il recevait de ses concitoyens, la place à laquelle son talent lui donnait le droit de prétendre à la tête de l’école flamande, bien d’autres considérations encore d’un ordre plus intime tendaient à le retenir à Anvers. Il aimait cette ville, où le voisinage de son frère Philippe, autant que les utiles relations et les sûres amitiés qu’il s’était acquises, contribuaient à le fixer. Aussi, lorsque, désireux de le conserver auprès d’eux, les archiducs, dès le 23 novembre 1609, l’avaient nommé « peintre de leur hôtel », aux gages annuels de 500 livres de Flandres, il sollicitait d’eux avec tant d’instance la faveur de ne pas résider à Bruxelles et de demeurer à Anvers, que cette demande lui fut accordée.

Pourvu de ce poste et des avantages qu’il lui conférait, Rubens était désormais en situation de réaliser un projet d’établissement cher à son cœur. L’exemple du bonheur domestique dont jouissait son frère et la présence fréquente chez ce dernier d’une nièce de sa femme qui, au charme de son gracieux visage, joignait celui d’une nature aimante et simple, avaient décidé son choix, et le 13 octobre 1609, il épousait Isabelle Brant, une jeune fille appartenant à une des familles les plus honorables de la ville. Les rares qualités et le dévouement de cette fidèle compagne devaient, pendant toute la durée de leur union, assurer à Rubens la tranquillité morale nécessaire à la production des grandes œuvres qui allaient illustrer sa carrière. Au milieu du bonheur et de la paix profonde de cette union, il pouvait librement écouter et suivre la voix intérieure de son génie. Après les lentes initiations de sa jeunesse, il s’était peu à peu affranchi de ces influences italiennes qu’il avait au début si ardemment recherchées, pour manifester enfin de la manière la plus éclatante sa pleine et subite maturité. Les commandes, dès lors, devenaient pour lui de plus en plus abondantes, et, avec leur nombre, croissaient aussi leur importance et les prix qu’elles lui étaient payées. En même temps, de toute la contrée, des élèves avides de profiler de ses enseignemens cherchaient