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d’expédient, que Gladstone combattit, sans craindre de provoquer les fureurs de l’ultra-protestantisme.

Le même temps venait de le voir passer par une crise religieuse des plus douloureuses. A la suite du jugement latitudinaire du Conseil privé dans l’affaire Gorham, le parti anglo-catholique, ou ce qui en restait depuis la conversion de Newman, fut saisi d’émoi. Il ne s’agissait plus à cette heure de savoir si l’établissement anglican pouvait acclimater dans son sein les privilèges et les grâces surérogatoires du catholicisme, mais bien s’il avait encore les notes nécessaires d’une église. On protesta, on pétitionna, on s’agita. Manning et Hope-Scott, ces deux amis de Gladstone, sur lesquels comme sur celui-ci l’évêque Wilberforce comptait pour le salut de l’église, passèrent au catholicisme. Gladstone demeura, quoique alarmé et indigné des progrès du désordre, profondément troublé et chagrin de la défection de ses compagnons, sans un doute sur son devoir. Il n’en avait pas eu davantage, quelques mois auparavant, au sujet d’une démarche retentissante, qui devait rendre son nom cher aux amis de l’humanité et surtout aux patriotes d’Italie. Au cours d’un voyage à Naples, il avait vu de ses yeux les effroyables stigmates de la réaction, l’atroce et lâche vilenie des vengeances exercées par le roi Bomba, l’infamie d’un régime qui mettait Poerio au bagne. Dans une lettre éloquente à lord Aberdeen, le député tory d’Oxford dénonça le scandale européen de ce gouvernement qui équivalait à la négation de Dieu. Rarement pamphlétaire de profession égala, jamais il ne surpassa la véhémence de ce réquisitoire qui prenait, sur les lèvres d’un conservateur, d’un chrétien, d’un royaliste, la valeur un d’arrêt sans appel.

Toutefois, la partie incontestable et incontestée de la carrière de Gladstone devait être l’activité du réformateur fiscal. Ses exposés budgétaires furent des chefs-d’œuvre de lucidité, de science, d’agrément aussi. Gladstone s’était donné pour tâche de transformer le système fiscal de l’Angleterre. A l’aide de l’income tax rétabli par Peel, il voulait libérer d’impôts les objets de consommation universelle ; réduire la proportion exagérée des contributions indirectes ; affranchir de taxes les instrumens du travail et ceux du progrès ; réaliser l’idéal de « la table du déjeuner de l’ouvrier, libre de tout impôt » (the free break-fast table). En même temps, il prenait énergiquement en main la réduction de la dette publique, il plaçait l’amortissement sur une base immuable, et il