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Et toujours dans ses bras elle serre un agneau.
La nuit tombe... Dans l’ombre abandonnant la lutte,
Le hautbois maintenant se marie à la flûte...
Dans le soir qui s’étoile, un chant s’élève alors
Si poignant et si tendre en ses simples accords,
Qu’il semble soupirer la tristesse éternelle
De tout ce que la terre a de plus doux en elle !...
Et la vierge aux longs cils, sous l’extase étouffant,
Sent comme un poids d’amour briser son cœur d’enfant.
Suave comme un flot de lune sur des roses,
Un mystère autour d’elle a transformé les choses.
Frémissante, le sein gonflé d’un long soupir,
Jusqu’au fond de sa chair elle se sent mourir,
Et laisse sur sa joue, et sans qu’elle s’en doute,
Son âme en larmes d’or descendre goutte à goutte.


VI

AXILIS AU RUISSEAU



Axilis, allongé dans l’herbe de la rive.
Suit d’un œil nonchalant le clair ruisseau d’eau vive
Qui court, léger d’aurore, au milieu des prés verts.
Le bois s’éveille à peine et les champs sont déserts...
Axilis laisse errer sur sa flûte d’ébène
Ses doigts vagues qu’un même accord toujours ramène.
Car il semble exhalé, si limpide et si pur.
Par des lèvres d’argent sur un roseau d’azur !
Aux pentes des coteaux flottent des vapeurs blanches
Et le matin mouillé sourit, nu, dans les branches...
Le pâtre qu’une ivresse envahit lentement
Sent tressaillir sous lui la terre obscurément.
Dans l’herbe humide et drue il plonge son visage ;
Il voudrait sur son cœur serrer le paysage !
La vie autour de lui circule ; il voit courir
Mille insectes fiévreux qu’un jour fera mourir.
L’oiseau vole ; le vont souffle ; la feuille tremble  ;
Le ciel est de cristal... Et, soudain, il lui semble
Que son âme, pareille au reflet du bouleau,
A fui, légère et vainc, au murmure de l’eau…