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s’établir et se constituer comme un organisme régulier de l’ordre social.

Pendant cette longue période de trouble et d’incertitude, qui se prolongea plusieurs mois, les cabinets agitèrent plusieurs questions, comme celle d’une occupation de l’île par deux ou trois puissances, proposition sur laquelle nous reviendrons ; aucune d’entre elles ne consentit à assumer pareille charge ; toutes se dérobèrent à l’envi. En Grèce, au contraire, on ne reculait devant aucune initiative, et c’est un étrange spectacle, et qui marqua bien la déchéance de tout ordre international, que celui de cet État de troisième rang bravant toutes les grandes puissances représentées en Crète par des forces navales importantes. Outre l’expédition d’armes et d’approvisionnemens de guerre, on autorisa, à Athènes, le départ de nombreux volontaires conduits par des officiers de l’armée régulière, qui furent bientôt suivis d’un corps de troupes, sous le commandement du colonel Vassos, dont le débarquement eut lieu en février 1897. « Avec une présomptueuse imprévoyance, on recommandait à cet officier de prendre possession de l’île au nom du roi Georges, d’expulser les Turcs des forteresses dont il devait s’emparer. » En même temps, des torpilleurs quittaient le Pirée sous les ordres du prince Georges et se présentaient devant la Canée, où stationnaient les flottes internationales.

Prévoyant les égaremens des Grecs, les puissances ne les avaient pas attendus pour faire, à Athènes, les plus instantes représentations. Se conformant à leurs instructions, leurs représentans s’étaient acquittés d’une démarche collective d’un caractère comminatoire. Cette manifestation n’exerça aucune influence sur les résolutions du cabinet hellénique. Comme le sultan, il se flattait que les cabinets ne se mettraient pas d’accord pour recourir à la contrainte, et en réalité il ne s’abusait pas, puisque, à aucun moment de ce long conflit, on n’a pu s’entendre sur l’emploi de moyens coercitifs. Cependant, au point où en étaient les choses, il n’était que temps d’aviser et on se mit à la recherche d’un moyen propre à dénouer une situation d’autant plus périlleuse que la Porte, de son côté, ne restait pas inactive, dépourvue d’un armement maritime sérieux, et désirant éviter tout conflit avec les flottes internationales réunies en Crète, elle préférait engager la lutte avec la Grèce sur un autre terrain, où il lui serait permis de déployer sa puissante armée ; dans cette pensée, elle