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d’instructions envoyées de Constantinople de créer des troubles pour empêcher l’application des réformes[1]. » Tel était aussi le sentiment de M. Cambon ; il mandait, en effet, de son côté : « Le mouvement actuel est suscité, de la part des chrétiens, par des agens du comité d’Athènes, du côté des musulmans, par les encouragemens de Constantinople. »

Dans ces circonstances, les puissances durent pourvoir à la sécurité de leurs nationaux ; des navires isolés, français, anglais, russes, furent expédiés sur les côtes de Crète. Bientôt d’autres bâtimens les rejoignirent, et on réunit, dans ces parages, de véritables divisions navales, à la disposition desquelles on mit plus tard de faibles contingens de troupes de terre. Sans repousser toute coopération, l’Allemagne se fit représenter, et fort tardivement, par un seul navire, déclinant invariablement toute proposition d’y consacrer un bataillon de son armée. Si suspecte qu’elle fût à l’Europe, la Grèce voulut que son pavillon fût aussi représenté dans les eaux de la Canée ; elle y envoya plusieurs bâtimens de sa flotte ; c’était la première concession ostensible, officielle, spontanée ou involontaire, que le gouvernement du roi Georges faisait à l’esprit public, qui s’exaltait de plus en plus à Athènes ; il devait en consentir de plus inconsidérées.

Disons, avant d’aller plus loin, et pour leur rendre l’hommage qui leur est dû, que les amiraux commandant les forces internationales, agissant en un constant accord, intervinrent, avec la plus louable sollicitude, pour contenir les combattans, pour secourir les victimes de ces luttes implacables, et rendirent, en mille circonstances, les plus précieux services. Mais leur action ne put jamais s’exercer que sur les points qui étaient à la portée de leurs canons et sous leur médiation personnelle. Ils purent donc prévenir le retour de nouveaux troubles dans les villes devant lesquelles ils stationnaient, en se portant de l’une à l’autre ; et ils y établirent ainsi un ordre relatif ; mais, partout ailleurs, le conflit se perpétuait et aucune mesure n’était prise pour procéder à l’exécution de l’arrangement issu des délibérations des ambassadeurs. Bien plus, l’attitude des fonctionnaires, leurs prétentions et les résistances qu’ils opposaient aux délégués européens démontraient jusqu’à l’évidence qu’il ne serait pris aucune résolution utile ; la gendarmerie restait réorganisée en projet, comme l’administration de la justice et les autres services ; seule, l’anarchie semblait

  1. Livre Jaune, p. 333.