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besoins locaux dans les provinces habitées par les Arméniens, et à garantir leur sécurité contre les Circassiens et les Kurdes. — Elle donnera, ajoute-t-il, connaissance périodiquement des mesures prises à cet effet aux puissances qui en surveilleront l’application. » La stipulation ne pouvait être libellée en termes plus absolus. En 1894, dix-huit années s’étaient écoulées depuis que ces clauses avaient été consacrées par l’assentiment unanime des puissances, et le gouvernement turc n’avait tenu aucun de ses engagemens ; son abstention se traduisait par les massacres de Sassoun.


II

C’est ainsi que les cabinets de Londres, de Paris et de Saint-Pétersbourg furent amenés à entrer dans une voie nouvelle, à passer des paroles aux actes. Dès le mois de mars 1895, un échange de pourparlers s’ouvrit entre eux. Pendant que lord Kimberley s’expliquait à ce sujet avec notre ambassadeur en Angleterre, le baron de Courcel, de son côté le prince Lobanof reconnaissait avec l’ambassadeur britannique en Russie, « qu’il y avait nécessité de faire quelque chose. » Poursuivant leurs explications, les trois gouvernemens furent bientôt d’accord pour inviter leurs représentans en Turquie à préparer un plan de réformes ; ils se persuadaient que leur entente aurait raison de l’inertie et du mauvais vouloir de la Porte. La lâche était ardue ; il n’était pas commode, en effet, de trouver la juste mesure des dispositions propres, d’une part, à garantir les chrétiens contre la haine des musulmans et les exactions des fonctionnaires, de l’autre, à ménager l’autorité et les appréhensions du sultan. Les ambassadeurs, cependant, se mirent courageusement à l’œuvre. Mais, comme il fallait s’y attendre, comme l’espérait surtout le sultan, qui plaçait sa confiance dans les dissentimens dont les puissances ont donné, de tout temps, le spectacle à Constantinople, elles différèrent d’avis sur plusieurs points. Ces discordances tenaient à des causes qu’on nous permettra de rappeler rapidement.

A la suite des guerres qu’elle avait successivement entreprises ou soutenues contre la Turquie, la Russie lui avait arraché, lambeau par lambeau, toute la portion de l’ancienne Arménie confinant à ses provinces du Caucase. A la paix de San Stefano, elle en avait obtenu, avec le territoire qui en dépend, la place forte de Kars, la principale défense de l’empire ottoman au