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de l’Espagne hors de cause, et celui qui coulerait encore ne serait d’aucun profit pour ses intérêts.

M. Buffet vient de mourir, après une carrière longue et bien remplie. Le Sénat, auquel il faisait honneur, a levé sa séance en signe de deuil : c’est un républicain qui en a fait la proposition, aux applaudissemens de toute l’Assemblée. Une telle manifestation a été d’autant plus significative qu’elle n’est pas dans nos mœurs parlementaires ; mais il serait désirable qu’elle y entrât. M. Buffet a joué un grand rôle politique. Le moment ne serait pas opportun pour juger ce rôle, qui soulèverait inévitablement des appréciations contradictoires. Il est un point, au contraire, sur lequel tout le monde est d’accord : c’est que M. Buffet, doué d’un très grand talent et d’une volonté très forte, s’est consacré avec un désintéressement absolu à la cause qu’il croyait juste et vraie. Même au milieu des passions déchaînées autour de lui, et qu’il partageait lui-même, il inspirait du respect à ses adversaires. Nul n’a porté plus haut la probité politique.

M. Buffet appartenait à une école aujourd’hui passée de mode, et nous ne pouvons pas songer à lui sans rappeler nos observations du commencement de cette chronique. Il croyait qu’on ne devait arriver au pouvoir que pour y appliquer ses idées. Jamais il n’a dissimulé son drapeau ; jamais il n’a amoindri ou tronqué son programme. Ce qu’il était, il l’était tout entier. Peut-être a-t-il été plus modéré et plus indulgent dans l’opposition qu’il ne l’avait été au gouvernement. De là l’unité de sa vie, une des plus honorables de notre histoire parlementaire, une de celles dont un parti peut le plus justement s’enorgueillir. Nous n’avons pas voulu le laisser disparaître sans saluer sa mémoire, et sans rendre hommage à l’exemple qu’il a donné.


Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.