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fût-ce que par surprise. La majorité de 86 voix, obtenue par M. Brisson, ne s’explique pas autrement. Pour le pays, c’est un trouble profond. Un pays, et surtout une administration, ne résistent pas longtemps à ce régime d’alternance, à échéances courtes et rapides. De pareilles secousses ne peuvent être légitimées que par des réformes qui, arrivées à l’état de maturité, s’accomplissent enfin et, au prix de quelques sacrifices individuels, augmentent le bien-être général. Mais on n’avait pas besoin de M. Brisson pour exécuter les réformes de M. Burdeau et de M. Ribot. L’opinion désorientée cherchera en vain la morale de ces événemens : il n’y en a pas.


Le conflit hispano-américain est entré dans une phase nouvelle. Nous n’en avons pas parlé depuis assez longtemps, parce qu’on avait beau regarder tous les points de l’horizon, on ne voyait rien venir. Mais, depuis quelques jours, il n’en est plus de même.

La guerre déclarée par les États-Unis avait été insuffisamment préparée par eux, et il leur a fallu de longues semaines pour se mettre en état de lui donner une impulsion décisive. Le résultat final n’était d’ailleurs douteux pour personne : seule, l’Espagne pouvait ou voulait se faire des illusions que les lenteurs de l’ennemi lui ont permis de conserver jusqu’à ce jour. Les États-Unis avaient une telle supériorité de ressources, en prenant le mot dans son acception la plus étendue, qu’ils devaient inévitablement l’emporter. Les Espagnols ont succombé, et les efforts qu’ils pourront faire encore ne les relèveront pas de leur chute. Toutefois, ils se sont battus d’une manière digne de leurs ancêtres, et l’armée américaine ne s’attendait pas à la résistance qu’elle a rencontrée. Le général Shaffer ne l’a que trop montré par l’imprudence avec laquelle il a attaqué Santiago, sans attendre des renforts dont il croyait pouvoir se passer. Il a perdu beaucoup de monde, et il n’a pas encore pris la ville. Il la prendra : ce n’est qu’une question de jours, peut-être une question d’heures ; mais les Espagnols, dans leur détresse, auront eu au moins la satisfaction d’avoir suspendu le cours de la destinée.

Nul n’avait pressenti, au début de la guerre, l’importance que devait acquérir Santiago. Il n’y avait aucune raison pour que ce point de Cuba devint plutôt qu’un autre le lieu de concentration des principales forces de l’Espagne et des États-Unis. C’est l’amiral Cervera qui, en le choisissant pour refuge de sa flotte, y a attiré non seulement la flotte, mais encore l’armée de débarquement américaines. Tout, depuis lors, y a naturellement convergé. On ne s’explique pas très bien quel a été