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à l’impôt sur le revenu ; il faudra renoncer à la révision de la Constitution ; il faudra renoncer à toutes les réformes promises et que le pays attendait, disait-on, avec une si vive impatience ! Les socialistes protestent ; puis ils se résignent. Ils le font même avec plus de facilité qu’on n’aurait pu s’y attendre ; mais ils demandent ou plutôt ils exigent des satisfactions de personnes. Ils veulent des révocations. Ils revendiquent des places. Nous ne savons pas dans quelle mesure on se soumettra à leurs exigences, mais il faudra bien faire la part du feu. Au surplus, les socialistes ne sont pour le ministère que des amis du second degré : il y a les amis du premier, les radicaux sortis tout bouillans de la lutte électorale, et ceux-ci sont plus exigeans encore. Ils ont des vengeances à exercer, grand plaisir pour ces demi-dieux d’un jour. Ils parlent d’exemples à faire, d’expiations à infliger, et quand même M. Brisson, par un scrupule qui l’honorerait, voudrait résister à la poussée qui s’exerce sur lui de toutes parts, il sera inévitablement entraîné. Il faut s’attendre à des coupes profondes dans l’administration préfectorale. Dès lors, et à moins d’arriver dans l’avenir à de promptes et à de larges réparations, bien imprudens et bien maladroits seraient les agens du gouvernement qui mettraient désormais quelque fidélité, et surtout quelque zèle à le servir ! C’est la conséquence de la grande faute qui vient d’être commise. Il y a quelque chose de coupable à avoir livré toute l’administration politique aux adversaires de la veille, d’autant plus enfiévrés des ardeurs de la bataille qu’ils n’en sont pas sortis vainqueurs. S’ils l’avaient été, peut-être aurait-il fallu s’incliner. Ce qui est inexplicable, c’est qu’on ait pris ce parti sans aucune espèce de nécessité et par une sorte de dilettantisme politique. Nous avons déjà fait une première épreuve d’un ministère radical, et il en est résulté un mal immense pour le pays ; de là est venu le désordre qui est encore dans les esprits ; toutefois, ce désordre, M. Bourgeois n’avait pas eu le temps de l’introduire dans les faits. C’est sans doute pour réparer cette omission que M. Brisson a été mis à la tête du gouvernement. Il n’y avait, en 1896, aucune bonne raison d’appeler M. Bourgeois aux affaires ; mais il faut bien reconnaître que la majorité des modérés, lassés, fatigués, un peu désemparés, estimaient alors devoir faire cette expérience qui leur a coûté si cher. Leur sentiment, aujourd’hui, n’était pas le même. Ils avaient sans doute l’ingénuité de croire à la conciliation, dont les radicaux parlaient aussi sans en vouloir ; mais ils étaient très loin de s’attendre à un gouvernement purement radical. C’est une dure épreuve qu’on leur impose : plusieurs commenceront par y succomber, ne