Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/489

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le sont celles de Tannhauser et du Hollandais volant ! Sait-on que les paroles des Cinq Poèmes, généralement attribuées à Wagner, sont d’une dame de ses amies, Mme Wesendonck ?

M. Weissheimer a eu aussi l’occasion de connaître, à Biebrich, la première femme de Wagner, dont le caractère et le rôle ont été si diversement appréciés par les biographes du maître. Elle revenait de Dresde, où elle avait passé plusieurs mois : et son mari fut d’abord enchanté de la revoir. Mais quelques heures suffirent pour aviver, de nouveau, le désaccord de leurs sentimens et de leurs pensées. « Après le dîner, qu’il avait tenu à préparer lui-même, et pendant lequel il s’était montré plein de tendres égards, Wagner lut à sa femme le poème des Maîtres Chanteurs. Et d’abord tout alla bien, encore que Mme Minna interrompît un peu trop souvent la lecture pour poser des questions assez inutiles. Mais, au commencement du second acte, comme Wagner lui décrivait le décor de la scène, à droite l’atelier de Sachs, à gauche la maison de Pogner : — « Et ici le public ! » s’écria-t-elle, en même temps qu’elle faisait rouler une boulette de pain sur le manuscrit. La lecture en resta là. » Mme Minna Wagner n’était guère disposée, du reste, à goûter les Maîtres Chanteurs. Dans toute l’œuvre de son mari, elle ne goûtait que Rienzi. « Ah ! si Richard pouvait encore écrire un ou deux opéras comme celui-là ! » disait-elle avec un accent de regret. Elle repartit pour Dresde dès la semaine suivante.

Mais ce qui donne surtout aux Souvenirs de M. Weissheimer la valeur d’un document biographique très précieux, c’est qu’ils nous font voir avec une évidence saisissante combien la situation matérielle et morale de Wagner était désespérée, lorsque se produisit la miraculeuse intervention du jeune roi de Bavière. On n’imagine pas une misère plus profonde, ni un découragement plus complet. Il y eut des semaines où Wagner se trouva, littéralement, sans asile, faute de pouvoir payer des loyers échus. Il y eut des jours où il songea à abandonner son art, pour donner des leçons ou apprendre un métier manuel. Et il avait cinquante ans, il était malade, il devait pourvoir à l’entretien de sa femme ! Toutes ses lettres de cette période ne sont qu’un cri de détresse. « Je me demande avec terreur comment je pourrai vivre jusqu’à la fin du mois, » écrit-il à M. Weissheimer le 12 octobre 1862. « De mon abattement, — lisons-nous dans une autre lettre, — de la façon dont la vie m’est à charge, vous ne sauriez vous faire une idée… Toutes les issues sont fermées autour de moi ; et la seule chose qui pourrait me consoler, le travail, m’est désormais impossible. » Et de jour en jour l’horizon s’obscurcit. « Je suis un