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disent les Italiens, avec des mots qui ressemblent à leurs mélodies. Nous avons beau nous défendre, et, quand on nous parle de ces mélodies-là, faire les fiers et les forts, à peine les entendons-nous chanter elles-mêmes, que, Latins que nous sommes, amoureux malgré nous de force simple et de chaude clarté, elles nous reprennent, elles ont raison de nous par les raisons du cœur, et devant elles, nous redevenons enfans. Au premier acte de la Vie de Bohême, entre tant de phrases rappelées, écoutez cette phrase nouvelle, la plus belle peut-être de tout L’ouvrage, celle de Mimi mourante, restée seule avec Rodolphe, et lui murmurant son amour dans son dernier soupir, le lui criant dans son dernier sanglot. Écoutez la plus grande partie du troisième acte : deux duos, un quatuor, tant de cantilènes faciles, un peu lâches, mais d’où jaillit à tout moment l’accent de la tendresse ou de la douleur, celui de la vie et de la vérité. Écoutez enfin, au premier acte, s’élargir certaine phrase de Rodolphe. Écoutez ces violons chanter à plein archet, ce ténor à plein cœur, et la musique monter, monter toujours jusqu’à certaines notes, frémissantes et comme éperdues, de l’instrument et de la voix. Alors vous aurez beau faire, protester peut-être au fond de vous-même contre votre trop facile et trop physique plaisir, votre plaisir sera le plus fort. N’en ayez pas de honte, car ces accens vont loin, plus loin que la situation, les sentimens ou les personnages. Et c’est aussi de loin qu’ils viennent : de la vieille terre illustre où la mélodie est née, où, si déchue, si appauvrie qu’elle, soit, elle survit encore et se défend. Aimée ainsi, pour elle-même, pour elle seule, la mélodie italienne reste le signe ou le souvenir affaibli, mais touchant, de quelque chose de grand, presque de sacré. Là-bas, « ils chantent encore » et quand un de leurs chants, un chant qui soit bien à eux, qui soit bien eux, arrive à notre oreille, est-ce notre faute, notre très grande faute, si nous sentons, comme disait le poète, notre Italie nous battre dans le cœur, si je ne sais quelle douceur de vivre nous pénètre et nous inspire un vague désir de larmes ?

La représentation pittoresque et scénique de la Vie de Bohême est quelque chose de délicieux. L’interprétation musicale en est excellente. Mlle Guiraudon (Mimi) est toute charmante d’intelligence et de sensibilité. Au dernier acte, elle a été simple et douce envers la mort ; c’est déjà une artiste que cette toute jeune fille.


CAMILLE BELLAIGUE.