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de chaque province, nombre de surfaces où la vigne successivement fut plantée, puis arrachée, reparut de nouveau pour disparaître encore. Cela, sous diverses influences, économiques ou agricoles, fiscales ou politiques. S’inspirant des ordonnances du XVIe siècle, qui craignaient de voir le labour délaissé « pour faire plant excessif de vignes », des arrêts du Conseil, sous Louis XV, condamnaient encore à 3 000 livres d’amende les habitans d’une paroisse voisine de Bourges, qui avaient transformé sans permission quelques-uns de leurs fonds en vignobles.

Cependant, à quelques lieues de distance, des propriétaires convertissaient volontairement d’anciennes vignes en champs. Dans le Maine, l’Orléanais, en Normandie, en Ile-de-France, point n’était besoin d’opposer de barrières à l’envahissement des ceps ; ils se retiraient d’eux-mêmes ; leur rendement était trop faible, — une vingtaine d’hectolitres à l’hectare dans le bassin de la Seine ; — le vin obtenu ne rapportait souvent pas plus que les céréales et coûtait beaucoup plus à produire. »

C’avait été le rêve du moyen âge d’empêcher le vin « étranger » de venir faire concurrence à celui du cru, et par « étrangers » l’on entendait tous ceux qui ne sortaient pas des pressoirs de la seigneurie ou de la ville. L’idéal semblait être de maintenir un prix de vente réglé, en chaque localité, sur le prix de revient : à Bourg, en Bresse, l’achat du mâcon, du beaujolais, du bugey est sévèrement prohibé, au profit d’un certain « révermont » qu’il faut boire sous peine d’amende. En Languedoc, Gascogne, Provence, dans tout le Midi, chaque bourgade se condamne à absorber son vin jusqu’à la dernière goutte, par ordonnance du maire, et à le payer au prix fixé par arrêté municipal. Jurats et consuls tiennent la main à ce que les aubergistes n’achètent pas d’autres futailles que celles des habitans, et c’est par une faveur tout exceptionnelle que le curé est autorisé parfois à introduire pour sa provision quelques pièces du dehors.

Des barrières analogues à celles qui arrêtaient l’entrée des boissons avaient aussi été organisées sur chaque territoire pour paralyser leur sortie, théoriquement du moins, puisque, pratiquement, les vins voyageaient comme les blés, en vertu de tolérances ou de permissions fréquemment renouvelées. Quand la récolte était mauvaise, au siècle dernier, dans les régions où Paris s’approvisionnait, les marchands de la capitale obtenaient la suspension des taxes qui frappaient les vins, au passage de Rouen et