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lumière, » allusion à quelques gourmets qui mangeaient des veaux de lait engraissés avec des œufs.

Mais ce n’était nullement pour satisfaire le luxe délicat d’une poignée de gastronomes, que les campagnards se débarrassaient très souvent de leurs veaux à peine nés ; c’était par suite de la difficulté de les nourrir, avec des vaches qui, réduites pendant l’hiver à une alimentation insuffisante, ne donnaient presque pas de lait. S’il avait fallu servir à la mère, pour rendre sa traite plus abondante, une ration quotidienne de ce son précieux que les paysans mettaient dans leur pain, et qui coûtait de 10 à 12 francs les cent kilos, le veau se serait vendu trop cher pour que les bouchers eussent pu l’acheter.

Le boucher n’était pas un commerçant, comme celui de nos villes qui exerce librement sa profession ; c’était une sorte de fonctionnaire. Il prête, en prenant possession de son étal, le serment solennel « de bien servir la cité et tenir toujours assortiment de viandes saines » au taux légal. Car il va de soi que la viande est taxée, après des « essais » laborieux, faits par les maires et échevins pour en établir le rendement. Et non pas la viande en général, mais chaque morceau en particulier ; et si le boucher prétendait profiter de quelque omission dans l’ordonnance municipale pour agira sa guise, la population se plaignait aussitôt aux consuls, comme elle fait à Nîmes (1631), que « les langues de bœufs soient vendues huit sous, qui est un prix fort excessif. « Quoique les choses paraissent ainsi réglées au mieux, avec de bonnes amendes naturellement prévues vis-à-vis des contrevenans, les relations demeurent difficiles et orageuses entre les autorités et le commerce de la « chair. » Ici le conseil communal menace les préposés officiels de faire venir des étrangers, en concurrence avec eux, « s’ils continuent à mal satisfaire les acheteurs. » Ailleurs, sur le refus des bouchers de vendre au prix fixé, l’administration organise elle-même une boucherie qu’elle fait desservir par ses employés. Les bouchers essaient-ils d’une résistance concertée, se mettent-ils en grève et ferment-ils leurs boutiques : c’est par la confiscation de leurs « bancs » et par l’emprisonnement de leurs personnes que les récalcitrans, au XVIIIe siècle comme au XVIIe, dans les moindres localités aussi bien que dans les chefs-lieux de province, sont ou paraissent être mis à la raison.

En fait, cet appareil coercitif n’aboutissait à rien de pratique.