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reçois la réponse du Duc ; il accepte et, ne pouvant venir ni écrire beaucoup, il m’annonce qu’il m’enverra Pasquier pour traiter les détails. Je souffre l’impossible. Nous nous reverrons, n’est-il pas vrai, fils adoré ? »

Le pauvre vieux Roi n’est pas au bout de ses tribulations. Pasquier arrive pour « traiter les détails. » La présidence du Conseil sans portefeuille attribuée à Richelieu, Siméon à l’Intérieur, Portalis à la Justice en attendant le retour de De Serre, toujours malade, dans le Midi ; les autres ministres maintenus, ainsi que les trois lois présentées aux Chambres, tout cela est bien vite réglé. Mais voici une condition inattendue. Decazes restant à Paris, le gouvernement serait impossible, car on croirait toujours à la continuation de son influence. Il faut qu’il parte, et, au nom de Richelieu, Pasquier propose de le nommer ambassadeur à Londres, étant entendu qu’il rejoindra son poste sur-le-champ. Le Roi est contraint de céder. À grand’peine, il obtient pour Decazes un délai de quelques semaines, que celui-ci, à qui le repos est impérieusement nécessaire, passera dans ses propriétés de la Gironde après avoir pris l’engagement de ne pas se montrer à Paris pendant ce temps. Ces choses décidées, le Roi signe, la mort dans l’âme, l’ordonnance qui ratifie son malheur.

Decazes étant venu le voir, il lui fait connaître la résolution à laquelle il a dû souscrire. Mais il lui annonce en même temps qu’il l’a créé duc et ministre d’État, tenant à prouver qu’en se séparant de lui, il ne lui retire ni sa faveur ni son amitié. Il lui montre même la lettre qu’il vient d’écrire au roi d’Angleterre.

« Monsieur mon frère, j’ai jugé à propos de rappeler le duc de Richelieu à la présidence de mon Conseil, et j’ai nommé le comte (aujourd’hui duc Decazes) mon ambassadeur auprès de Votre Majesté. Il partira dans quelque temps pour se rendre à son poste. Mais j’ose d’avance solliciter pour lui les bontés particulières de mon auguste ami. En quittant le ministère, le duc Decazes n’a rien perdu de ma confiance, et, à ce titre, je me flatte qu’il recevra de vous un accueil favorable. Je vous prie surtout d’ajouter foi à ses discours. »

En rentrant chez lui, après cette émouvante entrevue qui ne doit pas cependant être la dernière, Decazes se demande s’il a sagement agi en consentant à quitter la France. Peut-être eût-il mieux fait de refuser l’ambassade qui vient de lui être accordée sans qu’il la sollicite, et de rester à Paris ; il est pair du royaume,