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plusieurs circonstances le défenseur de leurs intérêts. Il y eut des provocations, des rixes. La police dut intervenir. On consigna les gardes dans leur caserne. Mais, l’ordre ne pouvant atteindre ceux qui étaient sortis au moment où on le donnait, le bruit se répandit qu’ils projetaient d’enlever le président du Conseil. Il ne semble pas qu’il ait d’abord ajouté foi à ces rumeurs inquiétantes. Cependant des mesures de sûreté furent prises. Nous en devons à la duchesse Decazes un tableau complet et bien vivant :

« Dans la soirée, j’entrai chez mon mari. Je lui demandai s’il y avait quelque chose de nouveau :

« — Non, ma chère amie, va te coucher.

« Je montai chez moi, et me couchai. Mais je ne sais quel pressentiment m’empêcha de dormir. A deux heures, la peur me prit. Je me levai pour aller chercher ma femme de chambre Louise. Je trouvai à ma petite porte, où il n’y avait jamais personne, le grand Henri assis sur une chaise ; Je lui demandai ce qu’il faisait là :

« — Rien, Madame ; j’attends Monsieur.

« Je voulus sortir par une autre porte. J’y trouvai le domestique qui me servait personnellement. J’appelai Louise ; nous ouvrîmes les fenêtres du salon ; deux gendarmes étaient sur la terrasse et j’aperçus beaucoup de soldats dans la cour. Alors, je pensai qu’il y avait quelque chose de sérieux. Je descendis de nouveau dans les bureaux d’en bas. Tous les secrétaires et employés y étaient réunis. Ils m’apprirent qu’on avait découvert un complot des gardes du corps. Ils devaient venir attaquer le ministère pour enlever le ministre et ses papiers. Mais les précautions étaient prises, les postes doublés, les portes barricadées. Et puis, nous aurions toujours le temps de nous sauver par le jardin. J’ai su depuis par mon mari que le duc de Talleyrand lui avait fait proposer de sortir par sa maison. M. d’Ecquevilly lui avait offert aussi un asile. Mais il avait refusé, ne croyant pas à une attaque. On pense bien qu’ainsi avertie, je n’eus plus envie de me coucher. Ne pouvant voir mon mari, je remontai dans ma chambre. J’y fis venir mon fils avec sa nourrice et Louise, et nous restâmes là jusqu’au matin.

« A huit heures, j’allai chez Mme Séjourné, mère du chef du cabinet de M. Decazes. J’y trouvai son fils, qui avait passé la nuit avec quinze officiers de paix à surveiller les mouvemens qui se faisaient dans la caserne des gardes du corps et à calmer les