Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la protection dont le Roi le couvrait, allait en réalité jusqu’à la fureur. Certains d’entre eux, — il faut oser le dire, puisque telle est la vérité. — ne songeaient qu’à se réjouir d’un forfait qui semblait rendre sa chute inévitable. Si ce monstrueux contentement hésitait encore à se manifester, il se laissait apercevoir déjà partout où se trouvaient les familiers de Monsieur et de ses belles-filles. De ces dispositions non équivoques, les cahiers auxquels j’emprunte tant de détails inédits contiennent une preuve qu’il convient de mentionner avant de citer toutes celles que nous révèlent les manuscrits de Decazes. Elle se rapporte à la journée du 14 février.

« La veuve du Duc de Berry avait été conduite à Saint-Cloud. Les femmes de la Cour étaient tenues d’aller s’inscrire chez elle. Le Roi m’écrivit pour m’indiquer l’heure à laquelle il s’y trouverait et m’inviter à m’y rendre au même moment[1]. Ma bonne maman me proposa d’y venir avec moi. Nous y fûmes. C’est la première fois que la figure de la disgrâce s’est offerte à mes regards. Je, vis d’abord qu’on faisait des difficultés pour me laisser entrer. Puis, à peine me faisait-on la révérence. J’avoue que, d’abord, je n’y attachai pas une grande importance, tant ma douleur m’absorbait. Ce n’est qu’après avoir quitté le Palais, que je me souvins de tout ce qui s’était passé. Mme Juste de Noailles, dame d’atours de la Duchesse de Berry, avait été la seule personne qui se fût montrée réellement polie pour moi. Quand le Roi, qui arriva comme je m’éloignais, me vit, il m’appela, et me dit deux ou trois paroles bienveillantes. Aussitôt qu’il eut passé, je m’en allai. Il me tardait d’être sortie. »

Dans la matinée de ce jour, le Conseil des ministres, réuni, arrêta qu’une loi serait présentée « pour empêcher que la presse n’augmentât par des publications perfides ou téméraires l’irritation, les craintes, peut-être les espérances que le forfait pouvait ou devait faire naître ». Cette mesure était surtout motivée par la violence avec laquelle les journaux royalistes accusaient du crime l’opinion libérale. Par une autre loi, le gouvernement demandait à être armé « du droit d’arrêter les individus soupçonnés de méditer le renouvellement de pareils attentats. » On en revenait ainsi à la politique arbitraire de 1815 et de 1816.

  1. Il dit à Decazes, le lendemain, que, ne pouvant la recevoir, il ne voulait pas perdre cette occasion de voir « la malheureuse innocente, qui devait tant souffrir des infâmes calomnies dont son mari était l’objet ».