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l’avoir déjà dit. L’état de Monseigneur est désespéré ; le cœur est touché. Les remèdes ne feront que hâter sa fin. »

Après cette déclaration, véritable arrêt de mort, l’état du prince s’aggrava rapidement. Decazes dut prendre les ordres de Monsieur, qui l’autorisa à aller chercher le Roi. En voyant entrer le ministre dans sa chambre, le Roi lui cria :

— Tout est fini ?

— Non, Sire ; mais on demande Votre Majesté. Je la supplie de faire appel à tout son courage.

« Il m’embrassa, continue Decazes. Il m’ordonna ensuite d’appeler son valet de chambre, s’habilla sans dire un mot et persista dans son silence tout le long de la route. »

On connaît les émouvantes scènes auxquelles donna lieu la présence de Louis XVIII auprès du lit sur lequel agonisait son neveu : la Duchesse de Berry se jetant à ses pieds et le suppliant de consentir à ce qu’elle retournât en Sicile, son pays natal, avec sa fille, loin de cette France où, sans cesse, tout lui rappellerait son malheur ; l’insistance que mit le moribond à solliciter du Roi la grâce de « l’homme », son assassin ; et enfin l’allusion qu’il fit soudain à la grossesse de sa femme, que personne ne soupçonnait encore, — lueur d’espoir s’allumant à l’improviste dans l’obscurité sinistre de cette nuit de deuil.

« Toutes ces dernières heures furent déchirantes. La douleur du Roi était extrême. On voyait de grosses larmes couler sur ses joues. Quand son neveu eut rendu le dernier soupir, il s’approcha de son lit, lui baisa la main et, lui ayant fermé les yeux :

« — Allons, dit-il, ma tâche est remplie.

« Il remonta en voiture et rentra aux Tuileries. Je l’y accompagnai et me retirai bientôt ; le Roi avait besoin de repos, et moi aussi. »

Que s’étaient-ils dit, le vieux Roi et son favori, pendant les quelques instans où ils avaient pu se trouver seuls après la mort du prince sur qui reposait jusqu’à ce jour l’espoir des Bourbons de France ? Il est aisé de reconstituer les paroles qu’ils échangèrent. Le Roi ne pouvait se méprendre aux conséquences de l’événement. Il n’ignorait pas qu’à la faveur de cette catastrophe, les partis allaient se soulever ; il prévoyait que les ultras se préparaient à lui déclarer « une guerre terrible ». Il n’est pas douteux que, dès ce premier soir, il ait fait part à Decazes de ses inquiétudes et de ses craintes.