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s’étant pas encore répandue parmi les spectateurs. Mais, dans la chambre où le prince était couché, se pressaient, pêle-mêle, les membres de sa famille, ses gens, divers personnages de la cour. Tout était désarroi, consternation, gémissemens. Insensible aux efforts tentés pour apaiser sa douleur, la Duchesse de Berry se livrait au désespoir le plus exalté. Dupuytren, assisté de ses confrères, suivait les effets des premiers remèdes qu’il avait prescrits. Après avoir pratiqué plusieurs saignées, il venait d’ordonner l’application de sangsues, espérant éviter ainsi un épanchement qui eût précipité la mort.

En voyant entrer le président du Conseil, le Comte d’Artois s’était élancé au-devant de lui. Il l’embrassa à plusieurs reprises.

— Allez prévenir mon frère, lui dit-il. Suppliez-le d’avoir du courage. Nous sommes bien malheureux. Mais nos amis ne nous abandonneront pas. Nous comptons sur vous, mon cher Decazes.

Tout en larmes, Decazes s’avança vers le lit sans entendre les murmures qui s’élevaient sur son passage et sans remarquer qu’à son approche, la Duchesse de Berry s’écartait avec un geste d’horreur. Il ne songeait qu’à interroger Dupuytren. Quoique l’illustre médecin ne désespérât pas de sauver le Duc de Berry, ses réponses témoignaient d’un tel trouble que Decazes déclara qu’on devait recourir aux lumières du docteur baron Dubois. Il offrit d’aller lui-même le chercher en revenant des Tuileries où il était attendu.

Comme il sortait, Monsieur le rappela :

— Faites tous vos efforts pour empêcher le Roi de venir, lui recommanda-t-il. Sa présence apporterait la gêne de l’étiquette. Assurez-le que nous n’avons pas perdu tout espoir. S’il fallait y renoncer, il serait averti assez tôt pour avoir le temps d’apporter sa bénédiction à mon pauvre fils.

Pendant que Decazes courait aux Tuileries, sa femme apprenait chez le maréchal Suchet le dramatique événement de la soirée. Nous lisons dans ses cahiers :

« Je dansais avec je ne sais trop qui, lorsque M. de Balincourt vint à moi et me glissa à l’oreille qu’après la contredanse, il aurait quelque chose de très sérieux à me dire. La contredanse finie, il m’emmena dans l’antichambre et me dit :

« — Le Duc de Berry est assassiné.

« — Mon Dieu ! nous sommes tous perdus ! m’écriai-je. Est-il mort ?

« — Non, on espère même le sauver… Le Maréchal désire que