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d’observer. Mais Decazes se trompe lorsqu’il croit que, la crise se prolongeant, le Comte d’Artois interviendra pour la dénouer et s’emploiera à calmer les ressentimens de ses amis. C’est mal connaître et mal juger ce prince que de le supposer capable de déployer à cet effet, malgré ses promesses antérieures, le dévouement, l’énergie, la constance qui seraient nécessaires pour opérer leur conversion. Il s’est toujours laissé dominer par eux ; c’est eux qui l’entraînent et non lui qui les guide ; quand il se croit obéi, il n’est que dirigé. Mais comment Decazes ne se tromperait-il pas quand, le jour même où il écrit à La Ferronnays la lettre qu’on vient de lire, il reçoit du Roi ce billet rassurant en ce qui touche l’attitude de Monsieur et les dispositions de la Duchesse d’Angoulême : « Tu as pu en juger par la démarche qu’un mot de toi a fait faire au premier pour Soult[1], et moi, j’en juge par leurs mines qui, depuis huit ou dix jours, ne sont pas reconnaissables de ce qu’elles étaient, quand ils entendent prononcer ton nom. » Cette constatation a mis le Roi en belle humeur. Elle se manifeste par ce coup de patte qu’en passant, il donne à Lainé : « Il dit que tu n’es pas très fort, parce qu’il n’accorde le superlatif qu’à lui-même ; mais c’est une chose immense pour lui que de te donner même le positif. »

Les jours, les semaines s’écoulent au milieu de ces alternatives, de ces lenteurs dont les Chambres commencent à se lasser et à se plaindre. La santé du ministre de Serre ne s’améliore pas ; les médecins ont fait entrevoir l’urgence d’un voyage dans le Midi. L’état de Decazes ne vaut guère mieux. Il peut encore remplir les devoirs de sa fonction présidentielle. Mais, c’est de sa chambre et du fond de son lit qu’il les remplit le plus souvent. Il a été obligé d’espacer ses visites du soir chez le Roi. La marche ministérielle se trouve entravée. La presse royaliste le constate en un langage où l’insulte se mêle à la violence.

Cet ensemble de fâcheux contretemps trouble le Roi. Sa correspondance trahit les perplexités de toutes sortes auxquelles il est livré. Un jour, — le 3 janvier, — Decazes lui ayant mandé qu’il est trop souffrant pour venir aux Tuileries, il lui répond : « J’avais fait d’avance le sacrifice de ma soirée ; je sens bien qu’il ne faut pas nous en tenir là. Il faut te mettre, s’il est possible, en état de

  1. « Soult sera reçu dimanche au serment de maréchal. Le Roi a voulu qu’il en eût l’obligation à Monsieur, à qui j’ai proposé d’en faire la demande à Sa Majesté. » Decazes au comte de la Ferronnays, 2 janvier 1820.